Les incursions d’Hitchcock dans la pleine comédie sont rares. Si « The Trouble with Harry », comédie macabre à l’humour pince-sans-rire, tient de l’ironie hitchcockienne, « Mr. and Mrs. Smith » (USA, 1941) est un pur produit hollywoodien, une screwball comédie du remariage telle que les studios en furent friands à cette période (avec Frank Capra et George Cukor en figures tutélaires). A priori, les auteurs du film semblent être davantage Robert Montgomery et Carole Lombard qu’Hitchcock lui-même. La très habile mise en scène de l’auteur en est réduite à ses tics les plus tenaces : longs travellings plan d’ensemble/gros plan, inserts opportuns, etc. Pourtant, à y prêter attention, le film conduit des thématiques chères au cinéaste. L’histoire conte la désunion d’un couple bourgeois américain après que la femme ait appris que leur mariage n’était pas légalisé par leur État américain. Les deux tiers du film trace le désarroi de Mr. Smith pour reconquérir l’amour de son « épouse ». D’hitchcockien, les rapports amoureux ont le goût du sadisme et de l’amour violent. La toute dernière séquence est plus qu’éloquente sur le film et sur l’art d’Hitchcock. Dans un chalet, la séparation de Mr. and Mrs. Smith est sur le point d’être définitivement acceptée. Mrs. Smith, dans une posture inconfortable, bloquée sur un fauteuil, les quatre fers en l’air, est coincée par des skis accrochés à ses pieds. Mr. Smith, derrière elle, prépare sa valise pour partir. Mrs. Smith lui ordonne, ardemment, de le secourir. Par mégarde, un ski se détache d’elle, la libérant de son emprise. Plutôt que de se lever, Mrs. Smith remet son ski, à l’insu de Mr. Smith, puis reprend ses cris. Pas dupe de la supercherie, l’homme s’avance derrière elle et, entre les faux gémissements de sa femme, lui prend langoureusement les bras. Hitchcock plus subversif en l’occurrence, y préfère l’amour brutal et illégitime à un amour embourgeoisé. C’est autre chose que les portes closes derrière lesquelles Lubitsch renvoie tout. Mais la mise en scène verse parfois dans le décorum, sans réussir à atteindre la parfaite économie figurative qui fait pourtant l’immense talent du cinéaste.