(...) L'approche de Fleischer est ici dénuée de toute emphase avec les principaux protagonistes du film, c'est à dire qu'il se placera plus dans la place du simple témoin que dans celui du psychologue compatissant voire fasciné. On découvre donc leur petite vie d'enfants gâtés de la bonne société de Chicago, parfois entre eux, parfois au contact de leurs camarades d'université. Les parents sont largement absents de leur univers, l'un d'eux conteste allègrement son professeur (joute orale passionnante) et ils n'hésitent pas à aller voler du matériel dans une chambre d'une fraternité concurrente. Le noir et blanc rend très bien compte de leur univers, avec une photo assez sombre qui fait la part belle aux ombres. De même, Fleischer traduit visuellement ce monde en décalage, comme par exemple avec une scène dans la chambre où les deux amis discutent et que le décor apparaît comme penché. Ces plans débullés servent sans doute à traduire leur monde sur le point de basculer, tout comme le cadre presque enfantin est trahi par quelques éléments incongrus (la peluche cache une flasque d'alcool). Bref, Straus et Steiner ne sont pas à leur place dans ce monde qui ne s'adapte pas à eux. Le scénario s'attarde longuement sur leur parcours avant d'être finalement confondu par la justice. On voit aussi le travail de la presse, parfois très condescendante avec le département de la Justice (le travail journalistique proche de la police avait déjà été traité dans "Assassin sans visage") et qui vibre au rythme des soubresauts de l'enquête. Et puis vient alors la 2ème partie du film, celle qui verra l'arrivée d'un personnage important campé par une légende du cinéma, le géant Orson Welles. (...) Le film devient dans son dernier tiers un pur film de procès, Fleischer ne signant au final qu'une poignée de scènes typiques du genre, se plongeant avec bien moins d'intérêt dans les rouages de la justice. Le spectateur, jusqu'ici plutôt distant voire froid à l'égard des personnages, se retrouve dans la position du juge et il va devoir écouter le réquisitoire de l'avocat. Autant vous dire que ce passage est un sommet du genre, un monologue d'une puissance de conviction rare, calqué à la virgule près sur celui de Darrow. Là encore, pas d'emphase ou de populisme, Straus et Steiner sont bel et bien coupables, ce sont des psychopathes, mais ce sont d'abord et avant tout des hommes qui évoluent au sein d'une société civilisée et notre civilisation ne peut se baser sur une cruauté qui attise la cruauté. Et à l'heure où notre époque apparaît comme très troublé, réagissant toujours avec plus de passion que de raison, il est bon de rappeler certains principes humanistes, et ce également à certains gauchistes qui sont parfois aussi vindicatifs, extrêmistes et haineux que leurs adversaires.
Et puis que dire du dialogue final entre Wilk et les deux hommes qu'il a défendu avec toute son âme, toute sa force de conviction. Un ultime échange cinglant, percutant, court mais qui dit tout et bien plus, redonnant du relief au personnage mais aussi à la lecture du film.
Un film important, essentiel même, largement oublié aujourd'hui et qui pourtant aura un fort écho à sa sortie puisque le trio principal (Welles mais aussi ses jeunes partenaires Dean Stockwell et Bradford Dillman) obtiendra collectivement le prix du Meilleur acteur au festival de Cannes en 1959. La critique complète sur thisismymovies.over-blog.com