Avec “Fat City” Huston transpose à l’écran le roman de Leonard Gardner dont l’auteur a lui même écrit le scénario. Il dépeint une Amérique des classes moyennes qui perdent pied, ayant comme seule option l’immersion dans une vie médiocre avec comme seul événement important “après le mariage est la mort”. Amérique des lendemains de cuite tristes, des étreintes aussi bouée de sauvetage, que les amitiés éphémères. En 1972, enlisés dans une guerre du Viet Nam impopulaire, les Etats Unis de débattent intérieurement avec une jeunesse majoritairement partagée entre les mouvements hippy ou contestataire. Suite aux regroupements d’exploitation des années soixante, le monde agricole sort à peine d’une crise de l’emploi où la plupart des licenciés durent se reconvertir. C’est alors que l’industrie connait ses premiers ratés avec l’arrivée des japonais, à la fois dans la hifi grand public qu’ils vont absorber (très peu) ou anéantir (la majorité), imposant leur propres marques, et l’industrie automobile dont il vont questionner la modernité et la fiabilité. C’est dans cette Amérique désabusée que se débattent les personnages, conscient que la décennie glorieuse qui a suivi la deuxième guerre mondiale est terminée pour toujours et que le quotidien morne n’offre à terme aucun futur rayonnant. D’un côté un jeune homme, Earnie (Jeff Bridges), qui a choisi la voie sans espoir du foyer médiocre, alors qu’un autre avenir dans la boxe était possible. De l’autre, Tully (Stacy Keach), un ancien boxeur pro, cabossé par la vie, réfugié dans l’alcoolisme, recherchant désespérément un alter ego pour échapper à la solitude. Chacun trouvera une compagne. Conventionnelle et piégeuse pour Ernie, éphémère car trop semblable pour Tully avec Oma (Susan Tyrell). Cette dernière, à la limite de la folie, recherche, au delà de ses postures, une aile protectrice, et effraye Tully au point qu’il tente un come back sur le ring, afin d’échapper au terne quotidien. Techniquement, la réalisation feutrée de Huston, illustrée par une pellicule délavée du grand Conrad Hall (sauf dans les remarquables scènes sur le ring, immersion très réaliste), offre une forme en accord avec le fond. Illustration parfaitement supportée par un casting globalement juste (et donc bien dirigé), comprenant deux acteurs montants (Stacy Keach, alors que Brando était pressenti et Jeff Bridges), des second rôles attachants comme Susan Tyrell (sa seule nomination pour un Oscar) mais aussi, dans des petits rôles, d’ancien boxeur. Huston, boxeur profesionnel limité (« j’étais trop maigre »), après une brillante carrière amateur dans sa jeunesse, connait bien cet univers, dur avec money first comme règle de conduite, à l’image de la société sans laquelle ils se débattent. Mais contrairement aux grands films sur la boxe avec combines et description du milieu social, “Fat City” est une analyse sociétale avec une escapade dans le monde de la boxe, rayon de soleil en forme d’impasse physique, dans un univers devenu tellement gris que même la couleur ne se remarque plus. A noter le beau choix musical avec un remarquable texte chanté par Kris Kristofferson. Ni cool, ni fun, mais certainement un grand film.