Véritable phénomène en cette fin d’année 1984, " Gremlins " était un film de Noël, hargneux et nerveux, merveilleux et loufoque, irrésistiblement mis en boîte pour conquérir le box-office qu’il dévora d’ailleurs tout cru. Produit par Steven Spielberg, " Gremlins " introduisait une nouvelle figure au panthéon des monstres, issue de l’imagination du alors tout jeune Chris Colombus. Conçu initialement comme un film d’horreur sans la peluche adorable qu’est Gizmo, puis transformé en loufoquerie féroce pour bambins avec Gizmo, " Gremlins " représente aussi le sommet commercial de la carrière de Joe Dante.Le résultat est à l’image de la carrière du bonhomme, un savoureux mélange d’horreur et d’humour burlesque. Des petites créatures issues de nulle part s’en vont dévorer les petites gens d’une paisible bourgade américaine la veille de Noël, mais s’adonnent, au passage, à des gags ravageurs, dignes d’un Tex Avery. Le tout dans une ambiance mythique (et entièrement reconstruite en décors) de petite ville, ce microcosme provincial si cher au cinéma fantastique de l’époque (que l’on retrouve dans " E.T. " de Spielberg ou dans " Explorers " de Dante), qui est un peu l’épitomé de toute une décennie.
Près de trois décennies plus tard, que reste-t-il de ce phénomène mordant, restreint à une franchise de deux films (la suite en 1990, 100% cartoon, fut un semi-bide)? Force est d’admettre que le charme opère toujours. La beauté des décors et des éclairages contrastés, visiblement très influencés par l’esthétique comics de " Creepshow ", confère à la comédie horrifique un confort visuel évident, sublimé par les restitutions de la haute définition du blu-ray. On nage dans le bonheur pépère des années 80, celui d’une naïveté confondante où la province américaine n’était qu’un îlot isolé au milieu de nulle part, où le plus absurde pouvait arriver, causant mirage et ravage, sans que le monde n’en soit lui ébranlé. Pas d’infection hystérique de la population, pas de propagation infernale de virus, juste quelques bestioles animées, qui causent du grabuge dans un bourg où l’on ne croise pas grand-monde et où seuls les vrais méchants de la ville succombent des morsures infligées par les Gremlins.
Cette nostalgie mélancolique d’une Amérique somme toute paisible est toutefois déboulonnée par le rappel à la dure réalité économique de l’époque : le capitalisme était déjà le vrai monstre du film avec des fermetures d’usine meurtrières pour l’avenir des ouvriers, et des vilains vraiment pas sympas issus du milieu de la finance, décrits comme des parangons d’égoïsme dévoués au culte du sacrosaint billet vert ! Cette critique contre la société des yuppies qu’érigea Reagan est particulièrement visible dans les scènes coupées, qui, hors du montage final, enlèvent une vraie valeur au métrage définitif.
En cela pèche " Gremlins " en 2012. Véritable monstre d’efficacité et à émotions contradictoires (on rit gracieusement, on affectionne les peluches vivantes et on frissonne un brin, enfin si on a moins de 10 ans...), " Gremlins " est également devenu un sommet de naïveté qui aurait mérité un peu plus de consistance dans son script. On passe vite sur le point de départ scénaristique - comment une créature aussi potentiellement dangereuse que Gizmo, qui peut engendrer des monstres nihilistes à l’infini, se retrouve-t-elle aussi facilement dans les mains d’un ado - pour se concentrer sur ce qui fait vraiment mal : l’attaque des gnomes ! Oublions les créatures horrifiques régies par l’instinct, on se retrouve surtout face à un bestiaire animé digne d’un magasin de farce et attrape, qui, à peine éclos hors de son cocon, va s’appliquer à singer l’homme dans toutes ses viles habitudes : boire, fumer, s’adonner à l’exhibitionnisme (on a un Gremlins satyre, si, si). Les petits monstres savent conduire, jouer de la tronçonneuse, chantonnent des classiques de Noël... Bref, ils apparaissent comme une énorme blague faite au public, ce qui n’est pas pour nous déplaire, loin de là, sauf qu’à notre époque sans script substantiel derrière, cela ne tient plus vraiment la route. La preuve étant, pendant toute la dernière partie du suspense, entre les délires, certes, très rigolos des farfadets, et la traque des deux ados qui vont sauver l’humanité, Dante et son scénariste ont oublié justement qu’il existait un monde autour de ces joyeux lurons. La ville est soudainement déserte, à peine une victime au sol, réduisant le film à un énorme gag entre deux mômes et les monstres. Si le plaisir reste entier, l’impression d’assister à une œuvre majeure du genre, elle, est fortement diminuée.