Pour résumer, on dira que "Careful" est un conte onirique sur le mythe d’Œdipe, assez simple, en réalité, dans son intrigue. Cette histoire de drames familiaux, alimentée d’angoisses enfantines, d’inceste, de vengeance et de jalousie, n’est au fond qu’un mélodrame assez naïf, virant parfois presque au roman à l’eau de rose… Ce côté roman-photo est renforcé par une esthétique très particulière, mêlant flous et couleurs "flashy". Comme dans certaines BD, le film est plein de monochromes, parfois franchement laids (orange, vert, rose, bleu…), qui jouent un rôle de définition et d’identification des lieux. Avec tous ces défauts, et une mise en scène esthétisante (à entendre dans le sens péjoratif), on pourrait avoir peur et craindre le pire, redoutant la vaine expérimentation formelle, qui, sous couvert d’onirisme et de poésie, conduit à un ennui fatal, comme avec le "Cœur de verre" de Herzog, ou, plus récemment, "L’accordeur de tremblement de terre". Mais contrairement au film des frères Quay, "Careful" parvient à capter notre intérêt et dégage, au final, un charme particulier. Une certaine magie, née du mystère entourant les lieux et les personnages, finit par opérer, et le film apparaît comme une œuvre éminemment personnelle (ce qui se fait de plus en plus rare, on en conviendra), parfois franchement absurde, engendrant même des situations comiques (la cire sur le visage de la mère du baron). L’étrangeté du film est renforcée par le travail particulier des sons, étouffés et feutrés, qui rappelle vaguement l’ambiance fascinante du "Vampyr" de Dreyer, qui se révèle être la très probable source d’inspiration de Maddin. "Careful" est un film moche, mal interprété, réalisé avec trois bouts de ficelle, et qui tend parfois clairement vers le grand n’importe quoi. Mais en même temps, c’est un film qui ne ressemble à rien de connu et nous propose son propre univers, celui de son réalisateur. Univers qui peut parfois, le temps d’une séquence, être assez fascinant.