La première question qui se pose à propos d'Out 1, projet fou excédant douze heures, est : comment aborder une telle cathédrale ? Le découpage en huit parties permet d'accéder assez aisément à ce monument, à condition de ne pas se laisser décourager par le premier épisode, constitué presque intégralement de répétitions/exercices de deux troupes de théâtres. L'intérêt se révèle à la fin de l'épisode, quand les comédiens de la troupe de Thomas font part de leur ressenti concernant leur exercice : le spectateur, qui y a donc assisté, est captivé par ce qui se joue, par ce moment rarissime au cinéma : des personnages-acteurs qui agissent, puis commentent leurs actes. Personnages-acteurs : les personnages sont des comédiens (Lili, Béatrice, Achille...), et surtout, les acteurs (Michèle Moretti, Michael Lonsdale...), laissés libres d'improviser, créent ces personnages. Des séances de répétitions qui se poursuivent par la suite, mais de plus en plus espacées, perturbées par ce qui devient la colonne vertébrale de l'intrigue : l'investigation menée par Colin sur les Treize, organisation post-balzacienne qui semble liée à Mai 68, dont les membres se sont quelque peu perdus de vue et se retrouvent progressivement, rappelés à leur ancien désir (de changer radicalement la société ?) par l'enquête même de Colin. Si "quelqu'un" (le mystérieux Pierre ?) oriente ce dernier sur la piste des Treize, une autre marginale vient, à force de rencontres permises par son vagabondage, à apprendre l'existence de cette société secrète : Frédérique/Juliet Berto, sublime et pathétique à la fois et qui, au cours de son enquête, s'amourache de Renaud, qui a volé un million de francs à Quentin, membre de la troupe de Lili...les fils scénaristiques, pour hasardeux qu'ils puissent sembler, finissent par se croiser (sans s'imbriquer complètement, goût de l'inachevé oblige) de manière vertigineuse, tissant une vaste toile dans laquelle s'agitent une quinzaine de personnages entre Paris et une plage normande. Une toile autant créée (si ce n'est plus) par les acteurs que par Rivette, qui cherche à capter ces moments magiques qu'offrent l'improvisation: les discussions alanguies dans la boutique de Pauline/Émilie (Bulle Ogier) et la conversation tendue entre celle-ci et Sarah (Bernadette Lafont) dans le dernier épisode, scène sidérante où les deux actrices dialoguent pendant dix minutes en répétant jusqu'au malaise trois répliques chacune, en sont de parfaits exemples. Out 1 est finalement plus un film d'acteurs que sur les acteurs - et comment s'exprime un acteur ? Par des scènes. Voilà donc ce qu'on retient avant tout de ces douze heures : des scènes, habitées par des acteurs formidables de drôlerie, de nonchalance et de singularité; c'est l'apparition savoureuse d'Éric Rohmer en spécialiste pédant de Balzac; l'improbable rencontre entre Frédérique et Étienne autour d'un jeu d'échecs; la saisissante déclaration d'amour "indirecte" de Colin à Pauline; Marie allant jusque sur la route pour montrer la photo de Renaud à quiconque le reconnaîtrait, etc. Un vent de liberté inouï souffle sur ce film-monstre léger comme une plume, un peu inégal évidemment, mais surtout incroyablement vivant et stimulant, l'un des plus beaux qu'ait engendré la Nouvelle Vague.