La France découvre enfin la première uvre dun réalisateur hors du commun qui revendique depuis toujours « son attirance pour les gens sauvages ». Il est tourné en 16 mm, images de noir et de blanc dont la grain parfois à la limite de la saturation trahit tant la fulgurance poétique de lunivers marginal que lépure de personnages ô combien fragiles et radieux.
Il est difficile toutefois de ne pas établir un parallèle avec « My own private Idaho », plus lyrique, plus construit, jusquà la troublante ressemblance de Tim Streeter avec River Phoenix. Et cest normal, puisque à lépoque les deux scénarios étaient écrits, mais Mala Noche coûtait moins cher à mettre en uvre. Mieux vaut appréhender les deux uvres séparément.
Car ici, si lhomosexualité et la marginalité sont aussi le moteur du film, le traitement en est différent. Il sy dégage une sensation extraordinaire de liberté, une désinvolture effrénée qui vient plomber la noire fatalité de leurs existences respectives.
Le récit autobiographique de Walt Curtis est posé comme une évidence, sous la forme dun docu fiction profond, cru mais tellement pudique. Gus Van Sant filme ici lAmériques des battus, de ceux qui hantent les petites villes dans lanonymat (émigrés, drogués, homos
), mais qui savent nous révéler les vraies valeurs humaines, empreintes de passion, de solidarité, dinnocence et de légèreté malgré la désespérance.
Mala noche se pose également comme une ouverture à lOpéra de Quatsous que Van Sant ne cesse dapprofondir à travers son uvre. Il contient un peu de la fulgurance dElephant, de lintroversion de Gerry, de la tendresse de My own private Idaho et de la noirceur de Drugstore cowboy. Un premier film certes, mais tellement révélateur du grand cinéaste que lon connaît aujourdhui.