Vu en avant-première. Pendant 40 minutes, j'ai cru voir le pire film de l'année 2024, après 2h08, j'ai compris que j'avais vu le meilleur film de l'année 2024...
Miguel Gomes a récidivé mais en plus radical. Dans Tabou, chef-d'œuvre de poésie, il nous avait soumis à une bonne heure de vieille dame bizarre, accompagnée de son étrange servante d'Afrique noire, avant qu'une formule magique ("Aurora avait une ferme au pied du mon Tabou") ne nous emporte dans le monde fascinant d'un couple adultère au Mozambique.
Ici à nouveau, c'est rude au début. Edward, qui n'ose pas épouser Molly et la fuit de ville asiatique en ville asiatique, se dissout dans les images réelles de l'Asie contemporaine, et on perd le fil du récit. Des voix off, qui chaque fois emploie la langue du pays où il est, nous raconte indirectement son histoire, sans qu'il apparaisse à l'écran. Pas facile à suivre à la première vision.
Et puis il se retrouve au Japon et là tout à coup, la poésie opère. On retrouve le Miguel Gomes de Tabou, on retrouve cette écriture unique, ce choix de comédiens singuliers, cette délicatesse et ce mystère.
Puis c'est au tour de Molly d'occuper le devant de la scène. Et la poésie initiée par son fiancé peureux se déploie pleinement. La comédienne est absolument merveilleuse et son rire, devenu fameux lors des avant-première, restera gravé dans nos mémoires.
Molly donc court après son amant, qui lui court loin d'elle. Et dans son périple, elle fait toute sorte de rencontres merveilleuses, dans des décors oniriques.
Les images du monde réel et contemporain se font plus rares. Les séquences tournées à l'ancienne dans un studio sont omniprésentes. On les reconnaît désormais de suite, juste à la focale employée. Et dès qu'on les voit arriver, on est heureux, car on sait que ce sera drôle, ou tendre, ou charmant, ou délicat. Bref l'intelligence du cœur.
Le drame se glisse dans cette histoire, mais n'en disons pas plus. Et puis c'est du cinéma, ce qu'on ne manquera pas de nous rappeler.
Tabou et Grand Tour : deux chefs-d'œuvre en regard. Deux dispositifs pour fabriquer un récit. Deux preuves sans doute que Miguel Gomes, comme Antonioni et Amalric, préfère voir le monde à travers le regard des femmes, plutôt que celui des hommes. Deux signes d'espoir que le très grand cinéma, inventif, profond et parfois exigeant, n'est pas mort.