Je veux seulement que vous m'aimiez est un film inédit du cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder qui sort près de trente ans après la mort du cinéaste. En réalité, il n'était pas vraiment inédit mais n'était pas sorti en salles car diffusé seulement sur la télévision allemande (ou plutôt ouest-allemande) en 1976 et n'avait pas dépassé les frontières du pays. De la même façon, en 2010 était sorti dans les salles françaises un film de science-fiction du réalisateur, Le Monde sur le fil, diffusé à la télévision allemande en 1973.
C'est la société Bavaria, motivée par le succès de la restauration de la série de Rainer Werner Fassbinder, Berlin Alexanderplatz, qui a financé la restauration et la réédition de films du cinéaste allemand comme Le Monde sur le fil ou Je veux seulement que vous m'aimiez. Pour celui-ci, le studio a fait créer un master haute définition à partir du négatif original 16 mm.
Je veux seulement que vous m'aimiez est adapté de l'ouvrage Lebenslänglich - Protokolle aus der Haft de Klaus Antes et Christine Ehrhardt. Ces deux auteurs ont d'ailleurs porté plainte contre le studio Bavaria pour avoir davantage de reconnaissance dans l'élaboration du film mais la cour fédérale de Bavière à Munich trancha en faveur des producteurs considérant que Fassbinder avait réalisé une œuvre d'art à part entière avec une dramaturgie propre et une manière de raconter l'histoire qui différait du roman initial.
Adapté d’un fait réel, Je veux seulement que vous m’aimiez puise son inspiration des grands mélodrames conjugaux à la Douglas Sirk (cinéaste à qui a aussi rendu hommage Todd Haynes plus récemment avec son Loin du paradis). Le film se veut une étude sur les origines quotidiennes de la folie, un puzzle affectif traversé de flashbacks troublants qui fait le portrait d’un homme mal aimé qui remplace le vide affectif par les preuves d’amour et les rapports d’argent. Dans cette quête de tendresse mise à mal par la corruption des rapports humains, Fassbinder fait le constat amer de l'écrasement des sentiments par le "miracle économique allemand" qui sévit à l'époque.
Rainer Werner Fassbinder nous donne le secret du malaise qui nait dans ses films des décors et de l'aménagement des personnages : "Quand je raconte des histoires de gens où je veux dire d’emblée que ça me rend triste de les voir obligés de vivre de la manière dont ils vivent, il faut bien que je montre ça d’une manière ou d’une autre. Je le fais au moyen des lieux qu’ils se sont aménagés, comme autant d’échappatoires, de lieux où ils peuvent fuir leur existence. Le cinéma est une sorte de transposition sensible d’idées qu’on s’était déjà faites auparavant, et montrer l’étroitesse de l’imagination au moyen de l’étroitesse des lieux, je trouve que c’est vraiment parfaitement logique."
Nous donnant une meilleure vision du film, dans son recueil d'entretiens avec lui-même, Fassbinder donne son idée de ce qu'est le sentiment amoureux : "Celui qui aime, ou qui aime plus que l’autre, ou qui est plus accroché à cet amour, ou à cette relation, naturellement, c’est lui qui est dominé. Et c’est lié au fait que celui qui aime moins a plus de pouvoir, ça, c’est clair. Parvenir à accepter un sentiment, un amour, un besoin, ça demande une grandeur d’âme que la plupart des gens n’ont pas. C’est pourquoi la plupart du temps, ça se passe de façon assez moche. Je ne connais quasiment pas de relations entre des gens, quels qu’ils soient, dont je pourrais dire que c’est une belle relation."
Voici peut-être la clé de Je veux seulement que vous m'aimiez et de Fassbinder lui-même. On aurait tendance à l'imaginer avec un regard cynique et pessimiste sur l'être humain, c'est en fait un profond humaniste qui croit en la bonté de l'homme : "L’homme en soi est bon, bien sûr. Tout est un problème de conditionnement. Vous pouvez dire comme Rousseau que c’est la société qui l’a rendu mauvais. C’est ma façon de voir le monde. À part ceux qui s’aménagent un petit bonheur protégé dans leur coin, on vit dans un système qui ne donne pas la possibilité aux gens d’établir des contacts, de communiquer. La façon dont les différentes générations sont éduquées ne conduit qu’à cette absence de communication. Une communication réelle entre les gens serait révolutionnaire."
"Nous essayons de produire des images étranges, des images qui ne semblent pas étranges à première vue, mais qui, d’une certaine manière, provoquent une impression d’horreur après avoir été vues."
A part Peer Raben, qui a composé quelques très discrètes pistes pour le film, on ne trouve dans Je veux seulement que vous m'aimiez aucun des collaborateurs habituels de Fassbinder. Le réalisateur était en effet en crise à l'époque du film (1975-1976) et s'était séparé de la plupart d'entre eux, même s'il retrouvera la plupart d'entre eux par la suite. Il a ainsi dû travailler sur ce film avec des techniciens de la chaîne qui diffusait le film, équipe dont il a été très satisfait.
Peter est un jeune homme inadapté socialement dans lequel on peut voir un reflet de la personnalité complexe du cinéaste lui-même. L'acteur qui l'incarne, Vitus Zeplichal a tourné plusieurs fois avec Fassbinder par la suite (La Troisième génération, Berlin Alexanderplatz, Querelle) ainsi que dans le film français Il faut tuer Birgit Haas aux côtés de Jean Rochefort et Philippe Noiret.
Je veux seulement que vous m'aimiez a été présenté en exclusivité en salles au Festival de Munich en 2010 puis au Festival du film de Locarno, en première internationale.
La sortie d'un téléfilm du très prolifique réalisateur Fassbinder, si loin après sa mort, peut surprendre mais l'importance du film est réelle comme l'illustre ce commentaire d'un journaliste du New York Times: "Peter, l’ouvrier compulsif qui sue sang et eau tout au long du bouleversant Je veux seulement que vous m’aimiez de Rainer Werner Fassbinder, constitue l’un des accidentés sociaux les plus poignants de la filmographie du grand cinéaste allemand." ou cette réaction du San Francisco Chronicle face au film: "Une satire sociale incisive. Vingt ans après, l’actualité du film étonne encore." Enfin, le Village Voice donne une piste pour voir le film, qui peut être une bonne façon d'aborder toute la filmographie du cinéaste: "La puissance du film tient à sa quasi-banalité : Peter puise sa rage dans ses traumatismes affectifs et familiaux. Emprisonné dans un monde de fantômes, il attend sa propre explosion.".