La singularité, c'est l'une des premières qualités qui peut m'émouvoir chez un(e) cinéaste. La langue d'Eugène Green est singulière. Elle est faite de quelques ingrédients simples, qu'on retrouve dans chacun de ses films à partir de celui-ci, le premier, matrice de tous les autres : écriture romantique, interprétation et mise en image qu'on pourrait qualifier de bressoniennes - les dialogues sont plus déclamés que "joués" par des comédiens souvent statiques et peu expressifs, la construction mécanique des plans, l'absence de musique. Quelque chose de désuet et de charmant à la fois se dégage de l'ensemble. Ici, une ambition de fresque qui s'étale sur plus de dix ans, avec des moyens dérisoires, qui parfois frise le ridicule (l'évocation des évènements de 68 avec 3 figurants), un maniérisme qui peut devenir lassant (cette obsession de filmer des plans de chaussures, d'obliger les acteurs à faire toutes les liaisons), une préciosité parfois embarrassante, mais qui tient la route sur la longueur et finit par toucher. Eugène Green cherche un "ailleurs", il essaye autre chose, il parle une langue de cinéma unique, qui peut prêter à sourire ou susciter l'ennui, mais on y sent une forme de sincérité, de naïveté revendiquée, massivement nourries de littérature, un peu comme chez Rohmer mais en beaucoup plus soigné, stylisé, disons le Rohmer ambitieux de "Perceval" ou de "L'anglaise et le Duc", pas celui de "L'arbre, le maire et la médiathèque". Un mélange d'exigence et de simplicité. La naissance d'un auteur, à 50 ans passé, ce n'est pas si fréquent.