Emma Benestan a grandi à quarante minutes de la Camargue et allait régulièrement aux fêtes de taureaux et aux courses. Adolescente, elle trouvait déjà l’espace de l’arène très genré : il y avait peu de filles, et il était difficile de se faire une place pour elles : "Ma fascination pour les taureaux m’a inspiré deux documentaires, l’un sur un apprenti manadier, et l’autre sur la seule fille à être allée dans l’arène, Marie Segrétier, et qui a été une source d’inspiration pour le personnage de Nejma."
"Dans mon travail de documentaire avec Marie, je me suis beaucoup interrogée sur cette place qu’elle avait, et sur la violence machiste et sourde autour d’elle. À ce moment-là, je travaillais sur une série de genre, et je me repassais tous les épisodes de Buffy contre les vampires, ma série-passion d’adolescence. Pour moi la Camargue est mythologique, elle est fantastique, en plus d’être liée à une partie de mon adolescence. C’est un territoire qui est très proche de moi et que j’avais envie de sonder."
Durant le processus de création de Animale, Emma Benestan a beaucoup pensé à la figure du Minotaure et à la symbolique du labyrinthe. La cinéaste s'est également interrogée sur le regard que l'on pose sur la bête : "N’est-elle qu’un monstre ? Et si au contraire, c’était la victime. Passer par la mythologie et le cinéma de genre me permettait de construire mon histoire et d’ouvrir le champ de l’intime et du politique.Je voulais faire un film sur une jeune fille qui va comprendre, non pas sans douleur, des choses sur la violence et sur le monde."
"Il existe toute une mythologie autour des femmes 'animales', mais, dans les fables comme dans les films, elles sont souvent sexualisées, c’est le cas dans La Féline, que j’adore, où la transformation est associée à l’appétit sexuel du personnage. Puisque je suis partie du récit d’une violence sexuelle, je n’avais pas du tout envie de sexualiser le corps de Nejma, qui est un corps qui souffre, y compris de ses métamorphoses. Dans le film, la métamorphose n’est pas qu’un endroit de puissance, la métamorphose coûte à Nejma, ça lui enlève quelque chose."
Emma Benestan explique pourquoi elle a choisi Oulaya Amamra pour incarner Nejma : "Pour moi, Oulaya a quelque chose d’aussi profond et mystérieux que Romy Schneider. Elles ont en commun cette pudeur, dans le jeu, et hors du jeu. Oulaya est une actrice élégante et subtile. Elle n’est jamais dans la démonstration, mais elle fait ressentir avec force ce qui habite et abîme le personnage qu’elle joue."
"Comme Nejma, Oulaya a un monde intérieur bien à elle, auquel je suis très sensible. Sans elle, Nejma n’aurait pas été aussi 'réelle'. L’implication d’Oulaya, dans ce rôle, et plus globalement dans le film, a été capitale pour moi."
En amont du tournage de Animale, Oulaya Amamra a passé quelques mois en Camargue. Le jeune comédienne souhaitait ainsi s’imprégner du territoire, de la nature et des animaux... Elle précise : "Les bêtes sont en liberté, on croise des taureaux, des chevaux, des flamants roses, et on est la proie des insectes, notamment des moustiques! C’est l’homme qui cohabite avec les bêtes, pas l’inverse. On a tourné aux Saintes-Maries-de-la-Mer et en Occitanie, on était en plein cœur de la France, et pourtant j’avais l’impression d’être au Texas ! C’était très dépaysant."
"J’avais des cours d’équitation, mais aussi des cours pour apprendre à sauter la barrière comme les raseteurs, parce que je ne connaissais rien du tout à la pratique! Je suis allée voir beaucoup de courses avec Emma, pour observer, comprendre, ressentir. C’est passionnant de voir un taureau se mouvoir. Et, puis, il y a tout un vocabulaire qui va avec la Camargue et la tradition des courses, la façon de parler des taureaux aussi, qui n’ont pas tous la même personnalité. Je me suis familiarisée avec tout ça, et ça a été intense, mais facile, parce que j’étais très bien entourée."
Oulaya Amamra est entourée de comédiens non-professionnels, vivant en Camargue et travaillant avec les taureaux pour la plupart : "Ils m’ont appris plein de choses, ils étaient hyper généreux ! Ces garçons nourrissent les bêtes tous les jours. L’été, il y a les courses, mais l’hiver, il faut aussi être aux petits soins pour les taureaux, même quand il fait 4 degrés dans le champ ! C’est un métier. J’étais à la fois très admirative et très intriguée. Ce que j’aime dans le travail avec Emma, c’est qu’elle prend le temps. Elle organise des répétitions."
"Pour ce film, j’ai assisté aux castings, pour rencontrer les garçons, pour être là dès leurs premiers essais. On a créé un lien tout de suite. Mais, même au- delà du casting, les rapports avec l’équipe technique étaient très solides et très doux. Tout le monde était impliqué sur ce film, à tous les postes. Ça n’a pas été un tournage facile, la météo, les animaux, mais en termes humains, des tournages comme celui-ci, on les compte sur les doigts d’une main. Il y a eu des moments suspendus, d’une grâce folle", se remémore l'actrice.
Animale a été présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2024 et en est le film de clôture.
La course camarguaise est un sport qui met à l’honneur les hommes et les taureaux. Sur les cornes du taureau sont accrochés plusieurs éléments appelés attributs : la cocarde (ou biòu) qui est un ruban de tissu rouge tenu par des ficelles ; les glands qui se composent de pompons de laine tenus par un élastique ; et enfin les ficelles qui entourent la base des cornes de l’animal.
Les raseteurs occupent la piste et doivent retirer les attributs du taureau à l’aide d’un crochet pour gagner des points. Les courses sont ponctuées de sauts au-dessus des barrières pour permettre aux raseteurs d’échapper au taureau.
Cette pratique se distingue de la corrida en ce sens qu’il n’y a ni mise à mort, ni sang versé. Ici, le taureau est glorifié de son vivant. Les bêtes sont au centre de la course camarguaise : elles sont choyées et soignées comme des athlètes et elles peuvent faire carrière dans l’arène pendant 15 ans.
Chaque année, un trophée récompense le meilleur raseteur, c’est-à-dire celui qui a gagné le plus de points tout au long de la saison. Réciproquement, un jury vote pour élire le meilleur taureau de l’année et lui attribue LE BIOU D’OR. C’est la récompense suprême dont rêvent tous les éleveurs de taureaux, appelés manadiers dans la région.
Chaque ville de l’Hérault, du Gard ou des Bouches-du-Rhône a sa propre arène et organise des courses de taureaux : plus de 800 au total, gérées par la Fédération Française de la Course Camarguaise.
La continuité de ce sport ou cet art culturel permet aussi et surtout de maintenir en vie dans la région un biotope sauvage très particulier et de continuer à protéger des cultures agricoles plus "classiques".