Après un récit de jeunesse (Courir au Gré du Vent) et une comédie d’humour noir sur le tournage d’un film (Ripples of Life), Shujun Wei réalise, avec Only the River Flows, un film noir de facture classique : "En tant que jeune réalisateur, mon idée est avant tout de savoir ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire, donc trouver un projet qui m’excite et qui est nouveau pour moi est un processus logique de création. Réaliser Only the River Flows me donne l'occasion de développer un récit dans le cadre d'un genre - ici le film noir, sur une base littéraire : c'est assurément différent du récit auto-biographique ou de la satire du monde du cinéma chinois contemporain qu’exploraient mes deux premiers films."
"L’adaptation de la nouvelle de Yu Hua comporte en elle-même plusieurs données : d'abord le récit d’une série de meurtres, écrit par Yu Hua dans le style littéraire des années 80-90, et porteur de thèmes alors très présents : d’une part le poids excessif de l’esprit collectif qui pèse sur l'individu, et d’autre part la solitude de l’individu face à un monde absurde. La nouvelle comporte aussi une forme de subversion du récit policier traditionnel : non seulement la résolution de l’énigme n’est pas son unique enjeu, mais l’œuvre est également plus secrète, plus inattendue, plus obscure que les récits policiers classiques, ce qui a contribué, à l’époque, à faire considérer la nouvelle comme une œuvre d‘avant-garde."
Only the River Flows est à l'origine un projet qui a été soumis à Shujun Wei. Le metteur en scène a alors trouvé la nouvelle écrite par Yu Hua particulièrement intéressante. Il confie : "Le fait qu'elle ait un terrain de jeu qui puisse être étendu, remodelé et que ça ne soit pas l'une des œuvres les plus connues de Yu Hua m’a laissé une grande liberté d'adaptation et de nombreuses possibilités. C'est aussi cela qui m'a intéressé."
"L'incertitude qui traverse tout le récit, libère pour le film un certain espace, et lui permet de proposer une seconde lecture du texte : l’ambiguïté de la nouvelle, fait qu’elle peut être lue aussi bien comme une fable, une réflexion énigmatique sur le destin, ou encore un tableau des relations sociales à travers le portrait de plusieurs personnages. Une autre donnée essentielle de l’œuvre d’origine est l’époque à laquelle est située le récit."
Shujun Wei a fait en sorte que le ton du film soit plus réaliste que celui du livre : "Il fallait dépouiller l'intrigue des relations farfelues ou abstraites qui risquaient de la rendre artificielle. Le film se concentre sur le personnage de Ma Zhe, qui est d’emblée bien plus que le simple « œil » qui, dans la première partie de la nouvelle, se contentait d’observer les événements."
Only the River Flows a été présenté en sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023. Shujun Wei est habitué de la croisette puisque Courir au Gré du Vent a été montré en Sélection Officielle en 2020 et Ripples of Life à la Quinzaine des Réalisateurs en 2021.
Shujun Wei a choisi de filmer sur pellicule : "J'avais déjà tourné un peu en pellicule avant ce film et l’expérience m’avait bien plu. Le film étant situé dans les années 90, l'idée d'utiliser à nouveau la pellicule est venue spontanément. Mais ça n’a pas été simple, le producteur m’a fait savoir que tourner sur pellicule coûterait beaucoup plus cher et que l’absence de laboratoires pouvant traiter le 16mm, en Chine, poserait des problèmes."
"L’étalonneur a également évoqué la possibilité d’obtenir un “effet pellicule” au moment de la post-production. Mais j’ai insisté : la texture même de la pellicule est cohérente avec l’époque dans laquelle se situe le film."
Juste avant le tournage, l’épidémie de covid sévissait et toute l'équipe est restée enfermée dans son hôtel, avec interdiction de sortir... "C’était très stressant. Nous avons eu quarante-cinq jours de préparation, à peu près, et quarante-cinq jours de tournage. Nous avons dû nous interrompre pendant deux jours, quand Zhu Yilong et moi avons été testés positifs", se rappelle Shujun Wei.
Shujun Wei a pour habitude de décider du casting assez rapidement, à partir de ses impressions et intuitions. Ensuite, il essaye de donner du temps aux acteurs, en les faisant venir très en amont sur les lieux de tournage. Le réalisateur se rappelle : "Par exemple, Zhu Yilong, qui joue Ma Zhe, est arrivé un peu plus de quarante jours avant le début du tournage. Il espérait que je lui livre des astuces pour se préparer, mais je n'en avais pas vraiment. J’ai juste demandé aux policiers locaux qu’il puisse les accompagner dans certaines de leurs enquêtes, qu’il assiste à des interrogatoires. Il s’est aussi entraîné à tirer, s’est habitué à porter des vêtements des années 90."
"Cette période qui précède le tournage m’est également nécessaire pour procéder à des ajustements, en fonction de ce que j’observe du comportement des acteurs. Ensuite, sur le plateau, il sera souvent trop tard."