Troisgros, 2 salles, 2 ambiances ?
Avec cette plongée de 4h, Wiseman nous offre une immersion dans l'univers Troisgros avec comme protagonistes, principalement le père, Michel, héritier patriarche de la maison et ses deux fils: César et Léo.
La gare de Roanne est posée comme point de départ du documentaire, là où jadis fut créée l'institution, mais nous allons très vite être amenés à traverser les coursives du nouveau temple Troisgros depuis six ans: Le bois sans feuille. Wiseman nous offre à voir l'entièreté des étapes, de la réception des marchandises à l'élaboration des plats en passant évidemment par la salle mais il nous offre aussi un voyage parmi les producteurs: éleveurs, maraîchers, vigneron et affineur. Wiseman a le temps et ce tempo est particulièrement adapté à une discipline qui en demande, justement, du temps. La précision des gestes, du vocabulaire, cette traversée dans les cuisines et leurs méandres où la créativité s'exerce rassasie toute nos curiosités de spectateur et ce qui saute aux yeux, c'est que simplicité apparente rime souvent avec l'exigence de l'exécution. Michel Troisgros nous présente sa cuisine, la salle, comme novatrice, elle est aussi digne de l'héritage d'Escoffier qu'il revendique d'ailleurs lors d'une discussion avec un chef de partie où il est question de la préparation de la cervelle de veau, il sera bien question d'équilibre constant entre tradition et modernité. On sent d'ailleurs que la pesanteur de l'héritage semble parfois imposante pour César à travers la figure tutélaire d'un père plutôt interventionniste. Wiseman nous permet d'observer, et c'est sûrement la partie la plus intéressante du documentaire, la difficile transmission d'un père à ses fils, transmission dont il a lui-même dû se soustraire. César l'aîné, reste encore sous la férule de Michel tandis que Léo lui, a ouvert son propre restaurant: La colline du Colombier. Il nous est donné de voir une autre cuisine Troisgros s'exprimer, avec une équipe plus réduite et des ambitions plus modestes. C'est peut-être une de mes principales réserves, c'est de ne pas découvrir davantage la cuisine de Léo. La caméra reste centrée sur Michel qui est sur le point de passer la main, il y a matière et l'homme est affable, mais cette figure patriarcale à tendance à parfois écraser l'ensemble et le traitement de la mère et épouse dans cette épopée reste également bien trop épisodique. Le film de Wiseman confirme qu'il s'agit bien d'une histoire d'hommes, on aurait voulu y voir justement davantage les figures féminines de la mère, Marie-Pierre, peu présente à l'écran et de la fille, Marion, carrément absente, dont l'existence est tout juste évoquée. Un autre aspect, juste suggéré, qui aurait peut-être aussi mérité qu'on s'y attarde, est la contradiction avec la simplicité et l'apparente humilité qui émanent de l'esprit Troisgros et certains clients très fortunés qui fréquentent l'établissement, ce n'est visiblement pas le sujet du film, seul un hélicoptère qui atterrit et l'évocation des prix faramineux de certains vins de la carte nous le rappellent. on passe cependant vite à autre chose.
2 restaurants, 2 ambiances ? Non car on est principalement invité dans le vaisseau amiral, le triple étoilé. Malgré ce déséquilibre, on y voit également, et il faut le dire aussi, une vraie complicité père, fils et frères même si on ressent une certaine concurrence et une envie d'émancipation. L'héritage est peut-être trop gros mais il est Troisgros: 2 salles, mais bien une seule ambiance.