Les réalisateurs de Monsieur Aznavour sont Grand Corps Malade et Mehdi Idir. Un duo approuvé par Charles Aznavour qui les a lui-même choisis avant sa disparition, notamment après avoir été impressionné par leur film Patients, comme le raconte Idir : "il a toujours pris soin de donner leur chance aux plus jeunes. Il se trouve qu’il est décédé le jour où nous avions tous rendez-vous pour lancer la production de Monsieur Aznavour. Nous avons mis le projet entre parenthèses, réalisé La Vie scolaire, avant d’y revenir."
Ce n’est pas la première rencontre entre l'icône de la chanson française et Grand Corps Malade, qui avaient déjà collaboré en 2010 sur le morceau Tu es donc j'apprends ou en 2015 sur Écrire.
Pour préparer Monsieur Aznavour, Tahar Rahim a regardé des heures entières d’interviews, et a suivi des cours de piano, de gestuelle et de chant. En effet, le comédien chante à l'écran, même si des chansons originales de Charles Aznavour sont également employées dans le long métrage.
L'acteur détaille sa préparation : "J’entre toujours dans un rôle par le physique. Or, là, il y avait une composition totale à effectuer. Il m’a fallu perdre du poids pour que nos silhouettes concordent. Par ailleurs, nos ossatures diffèrent. J’ai donc dû transformer ma posture. J’ai travaillé avec de très bons coachs : Daniel Lucarini pour le chant, et Pascal Luneau pour une approche globale."
Il n'était pas question pour lui d'être doublé pour les scènes musicales, ce sont ses mains que l'on voit à l'écran lorsqu'il joue de la musique. Quant au chant, il a répété en amont du tournage entre six et huit heures par semaine pendant six mois.
C'est le directeur de casting David Bertrand qui a suggéré à Grand Corps Malade et Mehdi Idir le nom de Rahim pour incarner le chanteur. Les deux réalisateurs connaissaient l'acteur : "Tahar nous a d’abord regardés comme des illuminés avant de nous rappeler - après avoir passé plusieurs jours à regarder des documentaires et interviews - pour nous dire qu’il pensait parvenir à trouver la voix adéquate et était partant."
L'écueil principal que Tahar Rahim voulait éviter était celui de l'imitation. Physiquement, il portait des micro-prothèses, posées par la cheffe maquilleuse Kaatje Van Damme, "qui a fait un travail magistral". Sur le plan psychologique, il a proposé aux réalisateurs une démarche qu'il avait déjà accomplie sur d'autres films : faire lire le script à une psychologue pour qu’elle livre son analyse de la psychologie du personnage. "Cela nous a permis de mieux comprendre les névroses d’Aznavour, ses rapports avec sa famille, et surtout de désacraliser l’artiste et de le percevoir comme un être humain, avec ses forces et ses faiblesses", ajoute-t-il.
Avant Tahar Rahim dans Monsieur Aznavour, d'autres comédiens avaient déjà incarné le chanteur : Alban Casterman dans La Môme (2007), Ruben Madureira dans le téléfilm Piaf (2010) ou encore Corrado Invernizzi dans Io Sono Mia (2019). Le chanteur avait aussi joué son propre rôle à plusieurs reprises, notamment dans Oh ! Qué mambo (1959), Pourquoi Paris ? (1964), La vérité sur Charlie (2002) ou Emmenez-moi (2005).
Secrets de tournage rédigés par Romane Balderani
Grand Corps Malade déclare au sujet du titre de son film : "Dans le « Monsieur » de notre titre, que nous souhaitions sobre, on entend la grandeur de ce personnage. Car, oui, Charles Aznavour était un grand monsieur. Auteur, compositeur, interprète, à la carrière internationale et durable, il est peut-être le plus grand monstre sacré de la chanson française." Son comparse Mehdi Idir renchérit : "« Monsieur » réfère aussi à l’ancrage français de cet artiste, enfant de réfugiés, qui est devenu connu dans le monde entier ; ce titre s’imposait pour ce film, qui, nous l’espérons, voyagera à l’international."
Pour se plonger dans la vie de Charles Aznavour, les réalisateurs ont lu ses deux autobiographies ainsi que des ouvrages journalistiques, écouté ses mille deux cents chansons, regardé tous les documentaires qui lui sont consacrés, toutes ses interviews, puis ils ont effectué un tri. La première version du scénario faisait plus de deux cents pages, soit un film de quatre heures ! Mehdi Idir précise : "Il nous a fallu élaguer, dégraisser, à l’écriture comme au montage, nous recentrer sur la substantifique moelle de son parcours et veiller à ce que ce récit soit rythmé".
Monsieur Aznavour est divisé en cinq chapitres. Une structure qui s'est imposée naturellement aux réalisateurs, comme le raconte Grand Corps Malade : "Le chapitrage permettait de gérer les ellipses et de ne pas perdre le spectateur. Nous aimions aussi l’idée de nommer chaque chapitre du titre d’une ses chansons pour montrer à quel point elles étaient nourries de sa vie".
Si Charles Aznavour a tourné dans une cinquantaine de films, Monsieur Aznavour ne fait référence qu'à un seul de ses rôles : celui dans Tirez sur le pianiste de François Truffaut. Les réalisateurs l'ont choisi car il s'agit du plus connu dans sa filmographie. Par ailleurs, ils ne souhaitaient pas s'étendre sur sa carrière d'acteur afin de resserrer le film au maximum.
Les réalisateurs ont choisi l'actrice Marie-Julie Baup pour incarner Édith Piaf, après l'avoir vue dans la pièce Oublie-moi. Grand Corps Malade souligne : "L'enjeu était de taille : il lui fallait passer derrière Marion Cotillard et elle est parvenue à interpréter Piaf à sa façon, sans la caricaturer. Elle a su aussi lui apporter l’humour qui la caractérisait, car Charles racontait qu’elle faisait toujours des vannes. Marie-Julie a su saisir les contrastes de Piaf, qui était capable de donner une baffe et une caresse dans la même parole."
Dès le deuxième tour du casting, la comédienne est arrivée habillée comme Piaf. Elle a prolongé cette démarche pour le troisième tour du casting : "une amie coiffeuse pour le cinéma m’avait préparée et maquillée en conséquence, et je suis venue vêtue d’une petite robe noire similaire à celles qu’elle portait, trouvée dans une friperie."
Pour incarner Édith Piaf, Marie-Julie Baup a lu sa biographie, regardé beaucoup de documentaires, de films, d’archives de concerts et de l’INA. Elle n'a pas revu La Môme, qui a valu l'Oscar de la meilleure actrice à Marion Cotillard, car elle "y est tellement exceptionnelle que je ne voulais pas risquer de l’imiter malgré moi".
Sur le plateau, il lui fallait chaque jour quatre heures de préparation, entre le maquillage, la pose de prothèses et de la perruque. Quant à sa voix, elle a beaucoup répété le chant car elle a deux chansons à interpréter dans le film, "tout en sachant que je ne pourrais pas égaler cette somptueuse voix. Je n’ai pas la même tessiture qu’elle, mais, au théâtre, j’ai incarné Irma la douce, un personnage qui lui est contemporain, et cela m’a aidée à trouver l’accent populaire et à manier l’argot".
Il était important pour les réalisateurs que Monsieur Aznavour s'ouvre sur des images du génocide arménien, même s'ils pensaient lors de l'écriture du scénario ne pas en trouver. Ils ont fait appel à des documentalistes qui sont revenus avec des images inédites. Quant à la fin, ils ont décidé de faire appel à la voix de Claire Chazal qui souligne qu’Aznavour, fils d’immigrés et d’apatrides, est devenu l’un des symboles de la culture française. Il s'agissait pour les cinéastes d'un geste politique, bien que le chanteur n'ait jamais pris position ouvertement, comme le rappelle Grand Corps Malade : "C’est ce qui est passionnant chez Charles : il n’a jamais rejoint un parti officiellement, et pourtant, il a pris position dans son œuvre, comme en témoignent Ils sont tombés ou Comme ils disent, par exemple."
Monsieur Aznavour met en avant un ami et collaborateur de Charles Aznavour peu connu du grand public : Pierre Roche. Son interprète, Bastien Bouillon, a pris des cours de piano et de chant pendant une dizaine de semaines. Le comédien a le souci du détail : "J’ai pu observer que Pierre Roche se tenait droit. Les costumes – cravates, boutons de manchette, pantalons à taille très haute ou chaussures à talonnettes - donnent tout de suite un corps différent du nôtre et cela aide beaucoup à trouver les bonnes postures. Lorsque je prépare un rôle, je veille à la justesse de certains détails : ce peut être une main posée, une manière de s’asseoir, etc."
Le producteur Jean-Rachid Kallouche, qui a initié le projet, n'est autre que le gendre de Charles Aznavour.
Quant à Tahar Rahim, il a pu enquêter auprès de la famille du chanteur afin de se préparer au mieux : "J’ai interviewé sa femme Ulla, sa deuxième fille Katia, son fils Mischa, sa soeur Aïda ; je suis allé à Los Angeles pour rencontrer Seda, sa première fille. Ils m’ont raconté leurs souvenirs, ses joies, ses craintes, ses failles, ses qualités et ses complexes. Je leur ai donc posé beaucoup de questions sur ces sujets et les ai enregistrés."
Tahar Rahim raconte être sorti du tournage "lessivé, mais heureux." Il avoue : "C’est le rôle de composition le plus complexe que j’aie eu à jouer. J’étais habité par un mélange de soulagement et de nostalgie quand le tournage s’est achevé. C’est la plus belle aventure humaine que j’aie vécue sur un plateau."