Sur le papier, à la lecture du synopsis, ce film ne paraît pas particulièrement engageant. Mais il suffit de lire le nom du réalisateur pour commencer à changer de point de vue. Avec Bruno Podalydès, quel que soit le sujet, on peut être à peu près certain d’avoir affaire à une œuvre de qualité mêlant intelligemment, finement, l’humour, les émotions, l’observation de l’air du temps.
Après Les 2 Alfred qui fustigeait, de manière réjouissante, le monde des start-up, c’est du côté d’une agence immobilière que le réalisateur nous invite à le suivre et ce en compagnie de deux agents : Catherine (Karine Viard) et Oracio (joué par Bruno Podalydès en personne), ainsi que d’un stagiaire, Jim (Victor Lefebvre), dont Catherine se demande, vers la fin du film, s’il n’est pas « un peu nunuche ». En vérité, nous spectateurs, nous avons l’avantage de savoir qu’il ne l’est pas tant que ça (gardons-nous de nous fier aux apparences).
D’une manière ou d’une autre, d’ailleurs, ce thème-là est un fil conducteur de tout le long-métrage. Parmi les nombreux personnages qui défilent sur l’écran, et même si certains d’entre eux n’y font qu’une brève apparition, il en est beaucoup que le réalisateur semble se faire un point d’honneur de faire évoluer sous nos yeux : l’impression première qui émane d’eux est, de manière subtile, mise en question ou, en tout cas, modifiée. Du coup, ce qui semblait n’être qu’une comédie mineure se présente à nous, spectateurs, comme un film certes très drôle mais également riche d’émotions de toutes sortes.
Deux biens immobiliers, aux antipodes l’un de l’autre, sont proposés à la vente par nos agents Catherine et Oracio (sans oublier Jim) : d’une part, une maison ancienne et de caractère du 19e pleine de charme quoique passablement vétuste, d’autre part un appartement moderne mais sans âme situé dans « le carré d’or de Bougival » ! C’est un régal de voir nos deux agents se démener auprès des visiteurs pour les convaincre d’acheter comme c’est un régal d’entendre Oracio expliquer à son stagiaire les règles de base du métier, la première d’entre elles étant de faire en sorte que les visiteurs, dès leur arrivée, poussent ce même cri d’exclamation : « Wahou ! »
Bruno Podalydès déploie tout son savoir-faire dans le contraste entre les deux biens immobiliers à vendre, si différents l’un de l’autre, tout comme dans l’art de croquer les personnages qui visitent ces deux lieux : une troupe de musiciens menée par Josépha (Agnès Jaoui) dont la belle ordonnance de départ se désagrège sous nos yeux, une femme fantasque dont le mari se distingue par sa rigidité (Isabelle Candelier et Patrick Ligardes), un couple d’amoureux, une infirmière qui souffre d’une grosse déprime, un client mutique (Denis Podalydès)… Sans compter le couple de propriétaires de la maison ancienne (Sabine Azéma et Eddy Mitchell) qui ne semblent pas pressé de vendre leur bien, c’est le moins qu’on puisse dire.
Bruno Podalydès s’amuse de tout, entre autres du langage très codifié des agents immobiliers, ce qui génère nombre de répliques savoureuses tout au long de la série de sketchs qui, peut-on dire, composent le film. Chacun de ces sketchs, je le répète, n’en est pas moins si bien construit que chaque intervenant en vient à révéler une part intime de lui-même, comme si l’agent immobilier devenait un confident (quand ce n’est pas l’agent qui se confie, à son tour, à un client) : la solitude, le sentiment d’abandon, la fatigue nerveuse, les complexes et les frustrations… C’est un petit théâtre touchant qui passe sous nos yeux. Le tout tempéré par l’irrésistible humour qui irrigue également le film,
le pompon de la drôlerie revenant à un lumignon portant l’effigie de sainte Rita, lumignon dérobé dans une église et qui, utilisé d’abord pour éclairer les ébats sexuels de deux tourtereaux, finit facétieusement par servir de support pour sa destination première, celle pour laquelle il a été fabriqué, la prière !