Edvard Munch (1863-1944) est une célébrité nationale en Norvège, l’équivalent dans ce petit pays de cinq millions à peine, indépendant depuis une centaine d’années seulement, de Shakespeare en Angleterre, Goethe en Allemagne, Cervantès en Espagne. Son "Cri" – ou plutôt ses "Cris" car il en existe cinq versions – est devenu iconique.
En 1974, Peter Watkins tourna un film de près de quatre heures qui faisait jusqu’à ce jour référence. Il se focalisait sur la jeunesse de Munch.
Près d’un demi-siècle plus tard, un réalisateur norvégien s’attaque à cette gloire nationale. Son parti pris est radical et rappelle celui de Todd Haynes pour raconter la vie de Bob Dylan. Évoquer quatre chapitres de sa vie – une déception amoureuse pendant des vacances estivales durant sa jeunesse en 1885, son séjour à Berlin en 1892 et le refus qui lui y fut opposé d’exposer ses oeuvres au motif qu’elles auraient été « inachevées », son séjour à Copenhague en hôpital psychiatrique en 1908-1909, son refus de collaborer avec l’occupant nazi dans les dernières années de sa vie à Oslo – en faisant interpréter son rôle par quatre acteurs – parmi lesquelles, l’identifierez-vous ?, une femme.
L’audace est accrue par le choix de transposer l’épisode berlinois à l’époque actuelle, avec téléphones portables et drogues en tous genres.
Le résultat est déconcertant. Les spectateurs bon teint que cette biographie autorisée avait attirés, plus habitués aux salles d’expositions d’Orsay qu’aux festivals de films scandinaves, ont probablement été déconcertés par les lumières stroboscopiques des boîtes berlinoises. Ils n’imaginaient pas que Munch fût si punk.
Comme souvent dans les biographies consacrés à un artiste, qu’il s’agisse d’un peintre, d’un écrivain ou d’un chanteur, on ne le voit pas assez à l’oeuvre. On parle beaucoup de sa vie privée, de ses tourments intérieurs, sans évoquer les problèmes très concrets qu’il a rencontrés pour créer, pour se vendre et pour devenir célèbre. Le défaut est accentué par le parti retenu qui éclate la vie de Munch en quatre épisodes, sans lien les uns avec les autres. Certes, le procédé qui joue à saute-moutons avec les époques – sans qu’on comprenne d’ailleurs toujours la logique de ce montage éclaté – a l’avantage de prévenir toute monotonie. Mais il prive, à mon sens, Munch et son oeuvre de toute cohérence : qu’y a-t-il de commun entre le fougueux jeune homme de 1885, l’ivrogne en convalescence de 1908 et l’atrabilaire vieillard de 1943 ?