Denys Arcand a eu l'idée de son nouveau film Testament en se rendant dans un grand musée de New York. Sur une grande fresque murale se trouvait la rencontre d’Indiens de l’île de Manhattan avec un explorateur hollandais. Le metteur en scène se rappelle : "Elle ne gênait personne depuis des années. Un jour, un groupe a exigé sa destruction en prétextant que cette toile constituait une insulte aux autochtones, aux premiers arrivants. Les responsables du musée ont extrêmement bien réagi : ils ont placé une vitre devant l’immense tableau et, par quelques notes écrites, ont corrigé erreurs et imprécisions."
"On pouvait lire : « Il est impossible que cette réunion ait eu lieu en pareilles circonstances » ou « Les Indiens que vous voyez ne sont pas exactement habillés comme ils le de- vraient ». Ça a satisfait tout le monde et cette vitrine – explicative, en quelque sorte - est encore là, aujourd’hui. Cet événement a excité mon imagination. Pourquoi ne pas concevoir, me suis-je dit, dans la Chapelle Sixtine, de petites notes qui précise- raient : « Dieu le Père est ici représenté comme un homme blanc, vieux et probablement hétéro- sexuel, mais libre à vous d’imaginer, à sa place, une femme noire, jeune et enceinte » …"
"Dans mon film, j’ai évidemment renoncé à reconstituer la Chapelle Sixtine et me suis contenté d’un « mural » dans une petite maison de retraite et d’une directrice submergée, face à un groupe de jeunes gens qui exigent d’elle qu’elle réécrive l’Histoire."
On retrouve dans Testament plusieurs comédiens que Denys Arcand a déjà fait tourner à plusieurs reprises, notamment Rémy Girard, son acteur fétiche vu entre autres dans Le Déclin de l'empire américain et Les Invasions barbares. Le réalisateur confie : "C’est très étrange. On se fréquente très peu dans la vie, mais c’est un acteur qui a le don de rendre naturel – et intelligent ! - ce que j’écris…"
"Il y a fort longtemps, j’avais rédigé un texte pour un petit théâtre de Québec, sans savoir qui allait le jouer. Rémy Girard est entré en scène et si j’avais répété avec lui pendant trois mois et lui avais donné toutes les indications possibles et imaginables, il n’aurait pas été meilleur. Ainsi est née notre collaboration professionnelle…"
Depuis Le Déclin de l'empire américain (1986), Denys Arcand creuse toujours le même thème : la lente désintégration de notre civilisation. Il précise : "Nous entrons maintenant dans un monde radicalement nouveau qui s’appellera la civilisation numérique, ou informatique, ou je ne sais quoi. L’arrivée de l’intelligence artificielle va maintenant pulvériser nos dernières certitudes. Le monde de demain n’aura à peu près rien en commun avec celui que nous avons connu. Un peu comme le Moyen Âge n’avait presque rien en commun avec les civilisations romaines et grecques."
"C’est un homme qui se sent en décalage par rapport à la société contemporaine. Il fait partie de la culture occidentale traditionnelle – c’est-à-dire qu’il lit des livres, écoute de la musique classique, ce qui est presque ringard, aujourd’hui. Il se sent donc totalement déphasé par rapport à la mouvance actuelle."
Dans ce film, Denys Arcand a choisi de représenter les politiciens comme étant lâches et pusillanimes. Le cinéaste sxplique : "Franchement, ils le cherchent bien… Si ce n’est qu’ils ont des excuses : il leur faut être élus. Et réélus, si possible ... Alors, ils se taisent ou parlent trop. Ils énoncent des semi-vérités. Imaginez-vous un politicien qui parlerait vrai ? Seuls les membres de sa famille voteraient pour lui… Vous réglez, aussi son compte, très brièvement, avec le système de santé québécois."
"Au détour d’une simple réplique qui dénonce un 137 ème malade dans une liste d’attente… Vingt ans après Les Invasions barbares, rien n’a changé ? Tout a empiré... L’état de la santé dans mon pays est encore plus catastrophique que dans le vôtre…"
En revanche, Denys Arcand ne se moque pas des manifestants du film, lesquels exigent du respect pour les « first nations ». Selon le metteur en scène, ces derniers ont raison. Il développe : "Leur combat est juste. Mais ce sont des « citoyens concernés », comme le fait observer, dans mon film, avec une légère ironie, une dame indienne qui, elle, fait partie des premières nations. Ils militent avec générosité et enthousiasme pour des causes qu’ils ne maîtrisent pas complètement, parfois. Oui, bien sûr, s’indigner contre une peinture est une noble cause, mais les descendants des premières nations ont, actuellement, des problèmes bien plus importants à résoudre qu’une peinture soi-disant offensante dans une maison de retraite ou dans un musée. La drogue, le logement, l’accès à l’eau potable, que sais-je ?"
"J’admets que les combats menés un peu partout dans le monde sont justifiés. Mais, pour mieux se faire entendre, ceux qui les mènent adoptent, souvent, des postures extravagantes. Et c’est cette extravagance qui prête le flanc à la satire. Un cas précis : au Canada, on ne peut plus employer le mot « nègre ». Il faut dire : « le mot en n… ». Bien entendu, le concept à l’origine de cette interdiction est absolument inattaquable : depuis des dizaines d’années, des gens se sont fait traiter de « sales nègres » et c’est intolérable… Mais quand, dans une université, un professeur cite dans son cours le titre d’un essai intitulé Nègres blancs d’Amérique, qu’un étudiant extrêmement sensible se sente révolté par le fait qu’il prononce ce mot, et que le prof en question se fasse réprimander, puis sanctionner, c’est grotesque…"