À la défense de « Testament »
J’ai toujours aimé l’humour corrosif de Denis Arcand, car il fait des trous dans nos certitudes et nos croyances. Avec l’âge, l’ironie du réalisateur de 82 ans est devenue encore plus décapante. Ses œuvres ressemblent de plus en plus à des comédies à l’italienne, où l’auteur s’amuse, non sans malice, des travers de notre société.
On ne sera donc pas surpris que j’aie adoré son dernier film, Testament, celui-là même que la critique québécoise se plaît à éreinter.
Je ne reproche pas aux journalistes d’étriller le dernier opus d’Arcand. En tant qu’ex-critique de cinoche, je reconnais à chacun le droit d’aimer ou pas un film. En revanche, le choix des mots employés pour démolir sa nouvelle réalisation me fait tiquer. Avec une belle unanimité, on reproche au patriarche du cinéma québécois d’avoir des idées réactionnaires. Je vois là une forme d’âgisme certaine. On n’est pas loin du « vieux réac ». L’accusation est grave, mal étayée et fort injuste.
On emploie habituellement le terme réactionnaire pour qualifier quelqu’un de droite, voire d’extrême droite, d’antiprogressiste, de conservateur, de passéiste. Arcand ne mérite aucune de ces épithètes.
Certes, le réalisateur du Déclin de l’empire américain ne se montre pas tendre à l’égard de la société actuelle. Son personnage principal, au début du moins, est un homme désabusé, cynique et misanthrope. Mais il est faux de croire, comme je l’ai lu, qu’Arcand s’attaque plus durement aux milléniaux.
Les jeunes, il est vrai, en prennent pour leur rhume avec l’arrivée de manifestants venus exiger la destruction d’une fresque historique dans une résidence pour personnes âgées. Cette murale, qui décrit la rencontre entre Jacques Cartier et des Indiens, est dénoncée comme une insulte à l’égard des Premières Nations. On découvre vite que le groupe est composé de bien peu de vrais Autochtones (aucun en fait), mais d’une vingtaine de vrais « wokes », trop heureux d’avoir découvert une nouvelle cause d’appropriation culturelle.
Ce blocus, comme l’appellent abusivement les médias venus couvrir l’affaire, n’est pas le véritable sujet du film. Je le vois davantage comme un prétexte pour le réalisateur. D’abord pour montrer le fonctionnement toxique de la télévision et de la radio, qui dramatisent vite et exagérément l’événement. Ensuite, pour s’attaquer au monde politique, qui gouverne en fonction des apparences et qui carbure à l’indignation populaire. Aucun parti n’est nommé, mais on reconnaît facilement les accents roublards de la CAQ, indignés de Québec solidaire et alarmistes du PQ.
Bien sûr, le trait est parfois lourd, souvent moqueur et toujours dur. Mais il n’est jamais loin de la vérité. La télévision a à ce point transformé l’information en spectacle que je la regarde plus. Pas un seul bulletin d’informations depuis trois ans, et je m’en porte en merveille. D’autant que cette pause prolongée m’évite d’avoir à subir le vaudeville quotidien de la période des questions à l’Assemblée nationale ou d’avoir à endurer la langue de bois des déclarations ministérielles.
Cela dit, toute cette agitation autour de la fresque dissimule l’autre grand sujet de cette comédie satirique, la solitude, celle des vieux en particulier, elle aussi très caractéristique du monde contemporain. L’arrimage entre les deux sujets de Testament est parfois délicat. Mais à mesure que le film progresse, les boulons se resserrent. Tout cela nous mène à une fin inattendue et touchante, remplie d’humanisme, où l’on entrevoit une lueur d’espoir. Mais je me garderai bien de la divulgâcher.
Bref, Testament, c’est du Arcand pétillant et jouissif. J’espère que ce n’est ni son testament ni son dernier film.