Il y a quelques années, alors que Hanna Ladoul et Marco La Via vivaient aux États-Unis, la mère de la réalisatrice l'a appelée avec une sorte d’énorme tumeur au cou : "C’était sur FaceTime, je me trouvais loin d’elle et ça m’a inquiétée. Finalement il s’est avéré que c’était complètement bénin. Mais on est venus à s’imaginer que si ça avait été grave j’aurais dû retourner vivre à ses côtés au fin fond de la campagne en Normandie, un endroit que j’ai toujours voulu quitter". Son compagnon ajoute :
"Cette fausse alerte a ouvert les vannes de notre imagination de scénaristes. On a toujours été fascinés par les trajectoires de femmes dans la famille d’Hanna, comme dans la mienne. Hanna, sa mère et sa grand-mère sont par exemple trois femmes très libres et indépendantes, mais chacune à leur façon, et ce n’est pas dit qu’elles puissent se comprendre sur tous les sujets. Les imaginer coincées ensemble dans une maison pendant toute une année nous semblait fascinant, amusant et émouvant."
Hanna Ladoul et Marco La Via ont immédiatement pensé à Catherine Deneuve pour jouer cette grand-mère : "Pour nous, Catherine c’est un peu la reine de France, elle incarne totalement la France. Et elle n’a justement pas tellement ce côté grand-mère, on ne l’imagine pas spontanément dans un tel rôle."
Le chef décorateur Tom Darmstaedter et son équipe ont dû construire entièrement le poulailler, un immense potager et divers autres décors.
Au fil des saisons prend place dans un lieu resserré, à la manière d’un huis-clos. Une caractéristique opposée au premier film de Hanna Ladoul et Marco La Via, le road movie Nous les coyotes, qui explorait Los Angeles : "On avait une envie de cinéma très différente. On voulait faire un conte, une fable avec un côté hors du temps. On avait aussi le désir de revisiter une forme de classicisme du cinéma américain, avec des lumières très travaillées, une mise en scène où les choses sont davantage contenues."
"On a en effet d’emblée vu le film comme un huis-clos, afin que cette ferme constitue un lieu de retrouvailles et soit comme le théâtre de la réconciliation - ou non - de ces trois femmes. On voulait rester dans l’intimité de ces trois personnages. Notre premier film se passait sur une journée dans toute une ville, alors que le récit est cette fois étalé sur un an mais au même endroit."
Il y a, dans le film, une forme de retour à la nature et l’impression de voir des personnages qui se préparent au monde de demain. Les réalisateurs Hanna Ladoul et Marco La Via expliquent comment ils ont créé, d'un point de vue visuel, cette atmosphère champêtre : "Au niveau de la photographie déjà, comme le film se passe sur les quatre saisons, il y avait une couleur par saison. Dans ce travail visuel, l’été est par exemple beaucoup plus chaud que l’hiver, qui est lui beaucoup plus bleu. Et de façon plus globale, comme on voulait faire un conte, un conte de femmes, il nous fallait une image assez stylisée afin de ne pas être dans un réalisme pur."
"Il y avait aussi l’envie à travers la photographie de filmer ces femmes ordinaires comme des héroïnes. On aurait pu faire un film très naturaliste, mais on voulait vraiment transformer nos personnages en héroïnes de cinéma. Et ça rejoint notre désir de se réapproprier à notre façon ces codes du classicisme des films américains. Avec notre cheffe opératrice Virginie Surdej, on avait des références comme les films de Frank Capra ou Clint Eastwood. On voulait que les visages de nos héroïnes soient très présents dans le film et qu’ils ressortent avec l’éclairage. Il y a aussi le fait que toutes les trois sont rousses, c’est un choix délibéré qui joue sur la colorimétrie du film."
Au film des saisons, dont le titre anglo-saxon est d’ailleurs Funny Birds, a été produit par Martin Scorsese. Hanna Ladoul explique : "Notre productrice (Mélita Toscan du Plantier) lui a envoyé le scénario, qu’il a beaucoup aimé. On s’est d’abord demandé ce qui l’avait séduit, car notre film semble assez éloigné de son univers. Et en fait on a découvert plus tard qu’il était fasciné par les rapports mère-fille. Il a été très impliqué dans le processus créatif et nous lui en sommes reconnaissants."
Marco La Via poursuit : "Il nous a d’abord fait part de ses notes sur le scénario. Puis il s’est beaucoup impliqué au moment du montage. Il a vu les différentes versions du montage et à chaque fois il avait des retours éclairants. On lui envoyait le film, il le regardait dans son cinéma chez lui à New York et très vite on se retrouvait sur Zoom et il nous faisait part de toutes ses notes. Il était très investi. Il est producteur exécutif, ce qui est l’équivalent de coproducteur en France."
Le découpage de Au fil des saisons a été très différent du premier film de Hanna Ladoul et Marco La Via, Nous les coyotes. Dans ce dernier, les metteurs en scène s'étaient imposés une série de règles et de contraintes, avec trois ou quatre grands principes auxquels il ne fallait pas déroger : "Là on a été beaucoup plus libres dans les choix de techniques, et on a beaucoup plus travaillé en plan-séquence, en Dolly et en Steadicam. Et comme c’est un huis-clos, il fallait que la mise en scène se réinvente en permanence."
"Contrairement à Nous les coyotes, où les décors sont beaucoup plus changeants et donc c’est une mise en scène très régulière qui crée de l’unité. Dans la déco, on voulait quelque chose de très minimaliste et iconographique. On a une référence un peu insolite - car c’est un registre très différent - mais on aime beaucoup la déco dans les films de Quentin Dupieux, qui est chapeautée par Joan Le Boru. C’est très chaud, c’est très bois avec des luminaires marrants, des objets atypiques. La maison de Laura devait être un cocon de ce genre."