La vapeur s'échappe d'une bouche d'égout. Un taxi surgit. La somptueuse musique de Bernard Hermann, à la fois angoissante et envoutante, retentit. Nous voilà plongés dans l'enfer..
"Taxi Driver" est un film sombre. Les rues de New York suintent la violence, la décadence et la criminalité. Il était logique qu'un New-yorkais pur jus soit à la commande de ce projet. Le scénariste, Paul Schrader, l'avait bien compris et insista pour que l'enfant de Little Italy, Martin Scorsese, s'occupe de réaliser Taxi Driver. Le résultat est d'une beauté subjuguante.
Nous assistons, impuissants, à la lente dégénérescence mentale d'un homme dégoûté par la vie, par le monde qui l'entoure, nous le suivons dans ses longues déambulations au cœur d'une cité ravagée par le vice et le crime, à la fois révulsé et fasciné par ce que nous voyons, miroir à peine déformé de notre propre existence, jusqu'à une résolution à la puissance aussi bien graphique qu'émotionnelle fracassante, d'une superbe ambiguïté morale, l'Amérique ayant décidément les "héros" qu'elle mérite.
Ancien marine, le personnage de Travis est énigmatique. Le film reste très flou sur cette période de sa vie, mais le traumatisme de la guerre du Vietnam semble être à l'origine du caractère instable de notre chauffeur de taxi.
Travis Bickle est certainement le meilleur rôle de Robert De Niro. Le mot acteur prend ici tout son sens. L'espace de deux heures, De Niro se métamorphose physiquement et mentalement sous nos yeux. Cette performance hors du commun a comme apothéose la fameuse scène « You talkin' to me? ». Cette scène, entièrement improvisée par l'acteur, fait partie des incontournables du cinéma. L'impact que ce personnage a eu sur l'Amérique a été très fort. Endossant dans les derniers instants de sa folie le rôle de justicier, défenseur du faible, Travis se voit au final adoubé et vénéré par une Amérique friande de ces histoires de violence au service de la justice. Le paradoxe est que si Travis avait réussi sa première mission, à savoir tuer le sénateur Palantine, il aurait été un meurtrier risquant la peine de mort.
On a déjà tout dit sur ce récit, son effarante maîtrise, entre journal intime d'un timbré et balades nocturnes dans les rues de New York, cette ville-poubelle qui n'existe plus que dans ces vieux films, saccadée et suintante la fange, les ordures, les vapeurs de dégoût des égouts, les images au naturalisme coloré, atmosphérique, cet écrin doucereux pour ce seuil indécis qui précède la folie, l'accompagne, et cette voix off, qui nous offre, sans ombrage, son journal testamentaire.
Chef-d'œuvre incontestable, "Taxi Driver" est un diamant noir qui ne peut que nous laisser sur le cul, une ballade dépressive au royaume de la mort et de la putréfaction convoquant ce que l'humanité a de plus dégueulasse, une œuvre inconfortable et inoubliable au casting impeccable.