« Les Damnés ne pleurent pas » fait partie à mon sens des bonnes surprises de l’été, comme « Les filles d’Olfa » …pendant toute la projection j’ai cru être devant un film de femme, tant Fyzal Boulifa décrit avec beaucoup de tendresse et de sensibilité la relation fusionnelle d’une mère et son fils. Autant pour moi, Fyzal Boutifa est un homme, citoyen britannique d’origine marocaine qui renoue avec le Maroc de ses origines… Il a su s’entourer de deux femmes de grand talent, Caroline Champetier, directrice de la photographie qui signe des images superbes et la compositrice égyptienne Nadah El Shazly dont la musique sur un fond de violoncelle vient casser les codes du drame social pour s’aventurer vers quelque chose de l’ordre de la fable mélodramatique.
Fille-mère, Fatima-Zahra (Aïcha Tebbae) s’est toujours occupée seule de son fils Selim (Abdellah El Hajjouji), âgé aujourd’hui de 17 ans et qu’elle traîne avec elle de ville en ville….autant elle est opulente, éclatante, charmeuse, trop voyante, autant lui est taiseux, ombrageux, explosif…Ils sont la damnation, mais aussi la moitie l’un de l’autre…Par certains aspects, on pourrait penser à une comédie mélodramatique incestueuse….mais c’est un attelage incertain, formé par une mère encombrante et un fils qui a grandi sans père et à qui elle cache le lourd secret de sa naissance… Difficile de trouver la sérénité au Maroc lorsqu’on ne vit pas au sein d’une famille, véritable nid de sécurité dans un pays où la politique sociale est quasiment inexistante. Il n’a même pas le temps de rêver à l’endroit où il pourrait installer une hypothétique télévision qu’il faut déjà repartir vers l’inconnu, parce que Fatima- Zahra, trop naïve, a cru en l’intérêt d’un homme qui ne lorgnait que sur ses maigres possessions. Ils échouent à Tanger, promesse d’un havre de paix ? où Fatima-Zahra rencontre un chauffeur de car, et où Selim se fait repérer par un français, Sébastien (Antoine Reinartz) qui tient un riad… C’est un Français, quadra, qui fait chambre d’hôtes... Ce n’est pas forcément une personne vénéneuse, un prédateur, mais c’est d’abord la beauté de Selim qui a éveillé son intérêt.
Le film pose un regard très dur sur l’état de la société marocaine, condamnant à la misère celles et ceux qui ne rentrent pas dans les cases des bonnes mœurs, quand bien même soient-ils les premières victimes de la “tache” qui les accable. À travers ses deux personnages, le jeune cinéaste londonien décrit un pays bouffé par la tradition et par l’hypocrisie, où l’image et la réputation comptent plus que le devoir d’humanité envers son prochain. Et Fyzal Boulifa le fait en abordant des thématiques plus ou moins taboues au Maroc, telles que l’homosexualité et la prostitution. Surtout, il nous donne à voir un Maroc ultra-précaire, où ces deux pauvres bougres livrés à eux-mêmes, en dehors de tout filet social, sont condamnés à l’errance, toujours à la recherche d’un petit boulot ou d’une bonne âme qui pourrait leur venir en aide.
Au-delà de ces thématiques sociales, « Les Damnés ne pleurent pas » met avant tout en scène la relation compliquée, d’amour-haine, qui unit une mère et son fils, campés par deux excellents comédiens non professionnels, tout simplement prodigieux, Aïcha Tebbae et Abdellah El Hajjouj, criants de vérité. … Aïcha Tebbae est une Fatima-Zahra pleine d’amour pour son fils, mais déterminée à s’en sortir. Elle manie avec brio ses armes principales : l’humour et la séduction…elle a tout d’une grande… Comme Aïcha, Abdellah El Hajjouji est une éclatante révélation. Dans le rôle de Selim il fait une composition mêlant une dureté virile à la limite de la violence à une douceur presque enfantine…Courrez le voir…nous n’étions qu’une petite douzaine dans la salle de l’Arlequin... et pourtant il pleuvait !!!