Tout d'abord, et cette remarque s'adresse à celles et ceux qui ont pu être gênés par la longueur de certains films du maître nippon, il faut savoir que ce n'est pas parce que Kuroswa fait plus court que le rythme (à l'exception de "Rashômon") s'en retrouve automatiquement accéléré. Avec et "Ange ivre", ne vous attendez donc pas un rythme élevé. Bon, à part ça, que dire de ce film ? Déjà, une petite précision, qui relève du détail certes, mais qui peut tout à fait mentionnée : il s'agit du premier film qualifié de personnel par Kurosawa lui-même. On peut également dire, sans provoquer de scandale, que ce n'est pas son meilleur. Il y a des choses qui ne sont pas intéressantes ici. Et, elles résident dans la description du milieu de la pègre et des personnages qui la composent. À l'exception de Matsunaga et Okada, les autres gangsters n'ont aucun intérêt. Le défaut du film, c'est celui-là. Mais, d'un autre côté, on trouve énormément de bons éléments. À commencer par la drôle d'ambiance dans laquelle règne le film. Ambiance qui, contrairement à ce que l'on aurait pu penser, n'émane pas des boutiques piteuses et des tripots ou autres endroits en proie à la misère, mais d'une mare huileuse, sale, bullant en permanence et dont on a aucune difficulté à imaginer l'odeur nauséabonde qui s'en échappe, bien qu'aucun des personnages n'y fasse allusion. Ensuite, le film propose sa bonne petite pelletée de séquences originales qui touchent droit au coeur tant elles s'éloignent des clichés et de ce que l'on attendait. La plus fameuse, pour moi, étant celle où
Okada, fraîchement sorti de prison, signale sa présence en jouant une chanson à la guitare
. Dit comme ça, ça n'a l'air de rien, mais à l'écran, c'est juste magnifique. Mais, la grande réussite du film (et c'est ça qui en fait un bon film malgré ses défauts évidents), c'est la façon dont il montre les relations entre Matsunaga et Sanada. Du début à la fin, on évolue toujours dans une relation d'amitié et de haine. La scène où
Sanada découvre la radio pulmonaire de Matsunaga
est simplement bouleversante. Kurosawa captant magistralement le regard de Takashi Shimura à ce moment-là. Ce sont deux hommes qui, malgré toutes les différences qui les opposent, se complètent, d'une certaine façon. Matsunaga étant le reflet partiel de ce que Sanada fut dans sa jeunesse et Sanada étant, quelque part, le père que Matsunaga n'a jamais eu. Pour arriver à une relation entre les deux personnages principaux qui est aussi réussie, il faut bien sûr un metteur en scène de talent, mais il faut aussi deux grands acteurs. Et Shimura et Toshiro Mifune sont ces deux grands acteurs. Le duo qu'ils forment marche même encore plus fort que dans "Chien enragé". Alors oui, quand on fait le compte final, tout n'est pas parfait, mais derrière la caméra, on sent clairement le talent d'un gars qui, très rapidement, allait s'assurer sa place ad vitam aeternam dans le club très fermé des plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma.