Si la galerie de personnages évoque l’esprit de certaines comédies françaises des années 1970, Julie Delpy n'avait pas vraiment de références en tête au moment de l'écriture des Barbares : "En général, j’en ai très peu quand je fais des films. Là, il y a peut-être deux trois moments, comme les séquences dans la longère avec la charcutière et l’épicier ou je me suis rapproché de certaines choses comme Les Galettes de Pont-Aven… Cela dit, j’aime le ton des comédies de cette époque, notamment celles du Splendid, cet humour qui était plutôt cash. Aujourd’hui on prend des pincettes, on moralise beaucoup."
"Je préfère quand les choses sont un peu envoyées dans la gueule des gens… Sans vouloir défendre une liberté d’expression débridée, je crains qu’on soit en train d’y nuire. Or, pour moi il est essentiel que les pensées uniques, le raisonnement critique, philosophique persistent. Mon identité n’est définie que par mon esprit critique."
Avec Les Barbares, Julie Delpy retrouve plusieurs comédiens qu'elle connaît bien, comme Mathieu Demy et son père Albert Delpy. Elle a aussi fait appel à des acteurs avec qui elle n'avait jamais travaillé : "J'ai rencontré Laurent Lafitte lors d’un festival et j’ai eu la sensation qu’il serait parfait dans ce rôle de plombier, mais aussi qu’il saurait comprendre le scénario et qu’il s’amuserait aussi. Idem pour Sandrine Kiberlain, que j’avais croisé à plusieurs reprises", explique la réalisatrice, en poursuivant :
"Je l’ai immédiatement trouvée profondément humaine, donc je me suis dit que ce serait un projet qu’elle pourrait aimer, parce que s’il essaye de dire quelque chose, c’est comment garder une empathie envers les autres. Ma directrice de casting craignait qu’elle refuse parce que c’est un rôle secondaire, mais elle a accepté tout de suite. Et pour les autres, c'est pareil, que ce soit Marc Fraize, on m’a dit qu’il n’était intéressé que par ses spectacles, que jamais ça ne l’intéresserait. Il l’a lu et dit oui dans la foulée."
Si Le Skylab se déroulait juste avant mai 1981, une période pleine d'espoir selon Julie Delpy, le cadre temporel des Barbares se situe dans un présent beaucoup plus incertain : "Le climat actuel n’est pas des plus serein. Mon fils a 15 ans et étudie au collège ces temps-ci les dictatures. Il m’a dit « Maman, c’est un cercle qui revient tous les 80 ans, c’est catastrophique ». Sauf qu’aujourd’hui tout empire, du pouvoir militaire à la surpopulation ou au réchauffement climatique, autant de choses qui vont envenimer la situation."
"L’humain est sur une mauvaise pente. Mais, comme on dit, après l’orage, le beau temps. Ça risque juste de prendre beaucoup de temps, malheureusement, donc il faut rester vigilant. Pour autant, Les Barbares n’est pas un film à message ; il essaie simplement d’être honnête sur une situation actuelle qu’il ne faut ni minimiser ni diaboliser."
Avec Les Barbares, Julie Delpy a voulu parler de la manière dont sont reçus les réfugiés en Europe, mais sans être dans le jugement. La cinéaste s'est ainsi basée sur des émissions et des documentaires sur le sujet, mais a aussi interviewé beaucoup de réfugiés dans plusieurs pays européens. Elle se rappelle : "Et puis, alors qu’on travaillait sur ce scénario depuis pas mal de temps, la guerre en Ukraine a eu lieu. Elle a eu pour effet très rapide de nous faire sauter aux yeux, les différentes façons de traiter les gens."
"Nous avons alors élargi le champ en interviewant aussi des gens qui étaient braqués contre l’idée d’accueillir des réfugiés, afin de pouvoir intégrer ce ressenti à une dynamique de comédie. J’avais envie de décrire toute la palette du racisme, ses différents degrés, jusqu’à son inverse, la bienveillance ou la culpabilité. Le contexte d’un village, à la fois lieu clos mais aussi empli d’une variété était idéal pour cela."
Dans Les Barbares, les personnages dont Julie Delpy se moque sont le plus souvent des hommes. Une chose qui s’est manifestée dès l’écriture : "Les hommes comme les femmes ont des failles dans ce film, mais la part comique touche surtout les premiers. Surtout un, qui est en quelque sorte le « méchant », le véritable antagoniste. Il est arcbouté sur ses convictions d’emblée, il bute sur tout, et a un comportement de coq de basse-cour. Il est très primaire. Mais ce n’est pas une invention, il y a des gens comme ça, voire dix fois pire dans la réalité, beaucoup plus agressif, violent, radical."
"Mais j’ai équilibré ça par d’autres caractères : le grand-père est formidable, le paysan aussi. Jusqu’à ce migrant qui lui, a juste du mal à s’adapter. Il n’était pas question pour autant d’en faire une généralité, j’avais juste envie à travers ce personnage, d’un père qui n'arrive pas à accepter d'être en dessous de son niveau parce qu'il est réfugié. Mais il était nécessaire d’avoir des personnages qui ne soient pas aimables d’emblée comme cet épicier, sans le rendre antipathique. Ces figures-là sont les plus drôles, permettent des ressorts de comédie", raconte la réalisatrice.