A l'origine de Marie-Line et son juge, il y a la lecture du roman Changer le sens des rivières écrit par Murielle Magellan et paru en 2019. Elle a été scénariste sur certains films de Jean-Pierre Améris : La Joie de vivre, Une famille à louer et Profession du père. Le réalisateur confie : "J'ai tout de suite reconnu ses personnages comme étant de la famille de mes films, c’est-à-dire ceux qu’on appelle « les petites gens », dont je me sens proche et dont j’essaye de montrer la grandeur. Marie-Line, l’héroïne, n’a pas été épargnée par la vie, mais elle a en elle une pulsion de vie très forte, une joie de vivre. J’aime ce genre de personnage féminin qui a des difficultés mais qui bataille."
"Et le personnage du juge est proche de moi : un peu solitaire, un peu réservé. La rencontre avec Marie-Line va le délivrer. Donc je me suis reconnu dans ce thème du déterminisme social. Je veux croire qu’on peut, comme le titre de ce roman, « changer le sens des rivières ». Cette phrase d’Alain Souchon vient de la chanson « les yeux d’Ava Gardner » et c’est un peu mon expérience, car je viens d’un milieu où rien ne me prédestinait à faire du cinéma et je m’étonne toujours d’avoir pu croiser le cinéma et d’en faire. Cela aussi est au coeur du film : c’est un éloge de la rencontre. Une histoire dans laquelle les deux personnages vont s’apporter beaucoup l’un à l’autre."
Pour le look du juge, Jean-Pierre Améris voyait un dessin de Sempé : un homme avec son imperméable, son cartable et son parapluie. "On le voit très bien sur l’affiche. Ce petit homme et cette fille plus grande que lui avec sa mini-jupe, ses cheveux roses, ce prolétariat à l’anglo-saxonne. J’aime que mes films soient comme dessinés. Ils sont réalistes, mais pas si naturalistes que ça. C’est quand même un peu stylisé, souvent très coloré. "
Jean-Pierre Améris a pour habiutude d'écrie plusieurs versions de ses films. C’est au bout de la quatrième que Louane Emera lui est apparue dans le rôle de Marie-Line. Le metteur en scène avait souvent vue la chanteuse/comédienne à la télévision, et bien sûr dans La Famille Bélier (2014). Il se rappelle : "Dès que je l’ai eue en tête, cela nous a aidés, Marion Michau, la scénariste, et moi, à dessiner son personnage, un peu comme une petite sœur d’Erin Brockovich."
"J’adore l’Angleterre et ce type de filles habillées avec ce genre de dégaine, qui ne se rendent pas compte que lorsqu’elles entrent dans un café tout le monde les regarde, et qui sont en fait des cœurs tendres. Je ne la connaissais pas du tout, on a organisé la rencontre dans un excellent restaurant de poissons, sans savoir qu’elle ne mange jamais de poisson... Honnêtement, moi qui n’ai pas d’enfant, si j’avais eu une fille j’aurais aimé que ça soit une fille comme elle."
"J’aime son courage et sa sincérité. Elle est juste, elle est en place, elle n’a pas du tout pris la grosse tête. Elle est vraiment généreuse, elle m’a beaucoup donné."
Par souci d'authenticité, Jean-Pierre Améris a assisté à beaucoup de comparutions immédiates au tribunal du Havre : "Donc, j’ancre dans le réel mais j’apporte un tout petit décalage aussi. Je n’appose aucune idéologie, mes personnages ne représentent pas leur classe. Je montre, je ne prêche pas. Moi je fais des films dans lesquels je sais de quoi et de qui je parle. Je sais ce que je raconte."
Victor Belmondo incarne le copain qui rêve de cinéma. "Je ne voulais pas en faire un personnage à charge, donc c’était très délicat. Victor dégage quelque chose de très élégant, très fin. Il a une vraie grâce, une grande spontanéité. Il est très cinéphile dans la vie, il a vu beaucoup de choses mais il ne la ramène pas. Il n’a rien à prouver. Il est sincère, tout le temps", précise Jean-Pierre Améris.
Jean-Pierre Améris a travaillé avec un superviseur musical qui lui a fait écouter soixante morceaux sans lui donner le nom des compositeurs. Le cinéaste se souvient : "Je revenais tout le temps aux mêmes morceaux du même compositeur. J’aimais son humeur, sa couleur. Il avait travaillé sur des courts-métrages et des séries et ce film, c’est son premier long-métrage. J’avais aussi dès le scénario pensé à cette chanson de Julien Clerc (Les Séparés) sur un poème de Marceline Desbordes-Valmore, un très beau texte sur le deuil."
"J’ai tout de suite aimé son côté « ingénue », et la maturité qu’elle prend au fil du film. C’est un personnage paradoxal. Elle est à la fois légère et profonde, drôle et émouvante, capable de plein de choses, mais dans l’inconscience de ses capacités. Elle est dans une dualité constante, jusqu’à ce qu’à la fin, elle s’épanouisse et se prenne en mains. Et cette dualité m’a donné le sentiment de jouer plusieurs rôles à l’intérieur d’un seul. Marie-Line ne connaît pas ses capacités, elle n’a pas eu beaucoup de chance dans la vie, et cette rencontre avec ce juge va tout changer. Il va devenir pour elle comme un père spirituel. Grâce à lui, elle va changer le regard qu’elle porte sur elle-même. Elle va se considérer autrement."