Ce film a été présenté en Compétition au Festival de Cannes 2023.
L'Enlèvement revient sur l'affaire Mortara, une histoire incroyable mais pourtant vraie. Né à Bologne en 1851 dans une famille juive, Edgardo Mortara est le sixième des huit enfants de Salomone (Momolo) Mortara et de Marianna Padovani. Alors qu'il est âgé d'un an et qu'il connaît un épisode de fièvre extrême — bien que ses jours ne soient pas en danger —, Anna Morisi, jeune servante catholique au service de la famille, craint pour sa vie et décide de le faire baptiser en secret. En 1857, les gendarmes de la papauté débarque chez les Mortara et arrache l'enfant à la famille pour le conduire à Rome, sur mandat du Saint-Office de l’Inquisition, sous le contrôle direct du pape Pie IX.
C’est ainsi qu’Edgardo est élevé dans la “Maison des catéchumènes et des néophytes” (“Domus Catecumenorum”), un séminaire créé pour la conversion, entre autres, des Juifs et des Musulmans. Il y reçoit une éducation catholique rigoureuse et se forme à la prêtrise. Brisés par cet enlèvement, les époux Mortara n’hésiteront pas à employer toutes leurs ressources, y compris financières, pour obtenir justice. Les diverses communautés juives, en Italie et à l’étranger, se mobiliseront pour les soutenir dans ce qui deviendra rapidement un véritable scandale international.
Avec la libération de Bologne de la domination pontificale en 1859, l’affaire semble sur le point de pouvoir trouver une issue favorable. En effet, un décret publié par le nouveau gouvernement laïque établit l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction de religion, et l’abolition de l’Inquisition dans les anciens États pontificaux. L’Inquisiteur en personne, le dominicain Pier Gaetano Feletti, est arrêté et jugé pour l’enlèvement du jeune Edgardo. L’issue de ce procès est néanmoins décevante : le tribunal accueille favorablement la thèse soutenue par l’avocat de la défense, Francesco Jussi, selon laquelle l’inquisiteur n’avait fait que se conformer aux lois en vigueur à l’époque, obéissant aux ordres de ses supérieurs et du pape en personne. Ainsi, le premier procès pénal mené à Bologne par le nouveau régime se conclut par l’acquittement du père Feletti.
Une fois Rome libérée, Edgardo restera malgré tout fidèle au pape. Devenu prêtre, il essaiera jusqu’à la mort de convertir sa famille qui n’a pas voulu renier la religion juive.
Ce qui intéressait Marco Bellocchio dans l'affaire Mortara était de mettre en scène un crime commis au nom d’un principe absolu : "“Je t’enlève parce que Dieu l’a voulu ainsi. Et je ne peux pas te rendre à ta famille. Tu es baptisé et, de ce fait, tu es catholique pour l’éternité.” C’est le “non possumus” du pape Pie IX. Il serait donc juste, pour garantir son salut dans l’au-delà, de briser la vie d’un individu, en l’occurrence d’un enfant n’ayant pas, du fait de son jeune âge, la force de résister ni de se rebeller."
Le réalisateur souligne aussi le crime perpétré contre la famille Mortara : "L’enlèvement du petit Edgardo symbolise donc la volonté désespérée, ultraviolente, d’un pouvoir déclinant qui essaie de résister à son propre effondrement, en contrattaquant. Les régimes totalitaires ont souvent de tels soubresauts qui leur donnent, pour un temps seulement, l’illusion de la victoire (un bref spasme avant la mort). "
Edgardo Mortara est resté fidèle au pape et à la religion catholique et a essayé toute sa vie de convaincre sa famille de se convertir. "Pourquoi ? La thèse qui prévaut est qu’il était alors trop jeune et influençable pour pouvoir résister. C’était la conversion ou la mort. Ce que l’on appellerait aujourd’hui le syndrome de Stockholm...", s'interroge Marco Bellocchio.
Cette conversion radicale et mystérieuse est ce qui rend le personnage d'Edgardo encore plus intéressant aux yeux du cinéaste, qui a décidé de s'intéresser à lui sans le juger : "On peut décider d’observer le “phénomène” de l’extérieur ou bien, avec amour et empathie, essayer simplement de mettre en scène un enfant victime d’une violence morale puis un homme qui, demeuré fidèle à la foi de ses bourreaux (qu’il prend pour ses sauveurs), finit par devenir un personnage qui se passe de toute explication rationnelle. Ceci est un film, pas un livre d’histoire ni de philosophie. Il n’a pas de visée idéologique."
En 2016, Steven Spielberg avait pour projet de porter à l'écran l'affaire Mortara, avec Mark Rylance devant la caméra et Tony Kushner à l'écriture. Ce long-métrage aurait dû être tourné après Ready Player One. Le réalisateur devait collaborer à l'époque avec Harvey Weinstein (avant que le mouvement #MeToo n'émerge) mais les deux hommes étaient en désaccord sur plusieurs points et Weinstein avait décidé de développer de son côté une autre adaptation de l'affaire, avec Robert De Niro au casting et l'Islandais Baltasar Kormakur à la mise en scène. Ces deux projets ne verront finalement jamais le jour.