Alors là vraiment c'est quelque chose... Ce film plutôt unique en son genre fonctionne comme un grand huit, ça commence tout doucettement comme une petite balade en banlieue, et au bout de 45 minutes, sans qu'on l'ait vu venir, c'est le Pendule de Foucault dans le 9-3.
Les dialogues sont ciselés et drôles, ils mettent en valeur la complexité des "parler-jeune" d'aujourd'hui, entre memes répétitifs, doudous de langage et références complexes (la réponse de W. Lebghil à la question "qu'est-ce que tu deviens ?" m'a transporté). Les acteurs sont excellents, au premier rang Martin Jauvat lui-même qui incarne à la perfection le "white trash" humaniste et imaginatif. Le duo entre William Lebghil et Sébastien Chassagne donne pour moi un moment d'anthologie.
Surtout, surtout, enfin un film loin du cinéma "petit-parisien" sur cette ville immense, menaçante et mystérieuse que nous sommes bien 8 millions à habiter, si on ne compte pas les Intra-Muros. Comment se situe Nicolas Jauvat dans ce défrichement créatif ? A-t-il lu les romans et chroniques d'Aurélien Bellanger, qui s'intéresse comme lui aux bâtiments fonctionnels et ésotériques qui peuplent la région capitale ? Faut-il voir dans les "deux dénouements" de son film, à la base de loisirs de Cergy et au Tréport, un hommage au cinéma de Guillaume Brac, autre théoricien de l'infra-ordinaire qui traîna aussi ses focales en ces lieux ? Ou, tout simplement, les chemins de randonnées et les autorisations de tournage guident-ils toujours les explorateurs régionaux dans les mêmes lieux ? Plus j'y pense et plus je crois que c'est une oeuvre majeure.
Un film pirate enfin, puisque si j'ai bien lu le générique, aucune autorité constituée du Grand Paris n'a accordé de soutien au film (à part la ville de Chelles) qui en profite pour les brocarder allègrement. Oui, à voir, malgré quelques défauts mineurs (notamment une fin rapide), un film plein de poésie, une déclaration d'indépendance.