Dès son adolescence, Manuela Martelli a commencé à se poser des questions sur sa grand-mère maternelle, qu'elle n'a jamais rencontrée. La réalisatrice se rappelle : "Il y avait un parfum de mystère autour d’elle. À la maison, nous avions une série d’objets qu’elle avait créés : des céramiques, tableaux et croquis, ainsi qu’une sculpture représentant une femme qui trônait dans le salon. Ces objets éveillaient ma curiosité."
"En parlant avec ma nounou (une institution pour la classe moyenne supérieure au Chili) Idolia, j’ai découvert que ma grand-mère s’était suicidée. Ma famille l’expliquait comme la conséquence d’une longue dépression, mais le mystère portait moins sur son suicide que sur l’intuition qu’elle était une femme au foyer incapable de s’épanouir. Cette intuition a permis de créer l’ébauche du personnage que je souhaitais observer."
La cinéaste Manuela Martelli explique pourquoi elle a choisi de raconter ce moment particulier de l’histoire du Chili du point de vue d’une femme appartenant à la classe moyenne supérieure plutôt conservatrice : "En m’interrogeant sur ma grand-mère et le silence autour de sa mort, je me suis intéressée à la période de cet événement : 1976. C’est l’une des années les plus sombres et cruelles de la dictature."
"Avant même de parler de dépression, j’ai tenté d’étudier le contexte. Puis d’autres questionnements ont surgi pour tenter de comprendre ce moment si particulier de l’histoire du Chili : « Comment imaginer que ce qui se passait dans la rue n’affecterait pas l’espace domestique ? Comment pouvions-nous faire comme si de rien n’était et vivre notre quotidien, tandis qu’à l’extérieur les dissidents étaient jetés dans l’océan ? »"
Après plusieurs versions du scénario, Manuela Martelli a compris que le film était avant tout une étude de caractère. La productrice, Dominga Sotomayor, l'a beaucoup aidée pendant le développement du projet pour aller dans ce sens. La réalisatrice précise : "Il fallait que je regarde à travers les yeux de Carmen, c’est devenu le fil conducteur."
"C’est pourquoi le choix du titre est si fondamental. Il fait apparaître une contradiction : quand on utilise une date comme titre, on s’attend au récit d’évènements historiques précis comme une bataille, la conquête d’un territoire ou la naissance d’une nation, pas à la vie quotidienne d’une femme anonyme. Je pense que la directrice de la photographie, Yarará Rodriguez, l’a magnifiquement compris."
"Nous souhaitions être en permanence aux côtés de Carmen, à travers son regard. C’était notre manière de nous attacher à sa subjectivité et de ne pas raconter l’histoire du Chili telle qu’on me l’avait enseignée dans les manuels scolaires."
Manuela Martelli a écrit le personnage de Carmen pour la comédienne Aline Küppenheim : "Elle s’est entièrement donnée pour Carmen. Je le savais dès le début, le rôle était écrit pour elle. Puis je l’ai laissée jouer. Parfois nous discutions de points spécifiques, mais il y a énormément de choses que nous n’avions pas besoin de rendre explicites. Cette part de mystère rend l’ensemble plus profond. C’est quelque chose que j’ai appris d’Aline et que j’ai intégré au récit."
Pour reconstituer au mieux le Chili des années 1970, Manuela Martelli a situé l’histoire du film au bord de la mer et non à Santiago, la capitale. Pendant la préparation, la cinéaste est partie sur la côte pour retravailler le scénario et, d’un coup, tout à fait sens pour elle. Elle se souvient :
"Les villes de bord de mer où nous avons tourné sont un peu hors du temps, elles portent les traces de la modernité mais elles réussissent à rester authentiques. Un autre élément fondamental était la maison de Carmen. Le reste, je le dois au travail du producteur Omar Zúñiga pour trouver les lieux adéquats, et de la cheffe décoratrice Francisca Correa, qui a su créer une palette de couleurs et de textures qui étaient en soi une histoire à l’intérieur du film."
Manuela Martelli a participé à plus de 15 films en tant qu’actrice, parmi lesquels Mon Ami Machuca. En 2010, elle a reçu une bourse pour poursuivre un master en cinéma à l’Université de Temple, aux États-Unis. Apnea, son premier court métrage, a été présenté en avant première au FIC Valdivia, en 2014.
Elle a également été sélectionnée dans le programme de la Chile Factory pour co-réaliser un court métrage avec Amirah Tajdin, intitulé Marea de tierra, dont la première a eu lieu à la Quinzaine des Réalisateurs en 2015. Chili 1976 est son premier long métrage.