Passionné de cinéma de genre, Saïd Belktibia cherchait pour mon premier long métrage une idée qui soit à la fois sincère et singulière. Orphelin de père, le cinéaste eu une enfance turbulente. Persuadé qu'il était possédé par un djinn (un démon), sa mère s’asseyait sur le canapé du salon et faisait fondre de l'étain au-dessus d’une bassine d’eau, en marmonnant des incantations. Il se rappelle :
"Je ne le comprenais pas à l’époque mais elle pratiquait de la sorcellerie pour tenter d’éloigner le mal de moi... Je souhaitais également continuer à explorer le thème de la violence engendrée par internet et les réseaux sociaux initié dans mon court métrage Ghettotube (2015). Avec mon co-scénariste Louis Penicaut, nous sommes très vite partis sur l’idée d’une chasse aux sorcières modernisée."
Pour l’écriture du scénario, Saïd Belktibia et le scénariste Louis Pénicaut sont partis d’une possible ubérisation de la sorcellerie : "Un monde réel, caché, et donc intéressant à faire découvrir au spectateur. L’idée d’un personnage de femme central pour porter le récit m’a tout de suite semblé évidente. Nous nous sommes donc mis à imaginer l’histoire de Nour. Mais mon film n’est pas qu'un film sur la roqya ou les sciences occultes."
"C’est avant tout l’histoire d’une femme qui refuse de se soumettre et qui se retrouve à tort accusée de sorcellerie parce que son indépendance dérange. C’est l’histoire d’une mère qui veut sauver son fils. La lecture du livre Sorcière, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet qui décortique la figure de la sorcière à travers les siècles nous a conforté dans l’idée que nous étions sur le bon chemin", se rappelle le réalisateur.
Nour, le personnage que joue Golshifteh Farahani, est une femme moderne, qui doit être de la deuxième ou troisième génération d’immigrés et qui essaie de se construire. Saïd Belktibia précise : "Elle se débat entre coutumes, religions, modernité du monde dans lequel elle évolue – un monde notamment ultra-capitaliste et masculin. Le business de l’ésotérisme est l’un des marchés parallèles les plus lucratifs ; on peut gagner beaucoup d’argent."
"Elle s’interroge sur ses croyances, sa foi, mais elle est rattrapée, comme c’est souvent le cas, par son environnement. Est-ce qu’elle y croit ? Est-elle possédée ? Est-ce une sorcière ? Je veux laisser la porte ouverte pour que les spectateurs puissent se faire leur propre idée."
Saïd Belktibia explique : "Ce qui m’importe, ce sont les valeurs des gens, ce dont ils pourront me nourrir. Au-delà de l’actrice formidable qu’est Golshifteh, c’est une femme avec qui j’avais envie de travailler. Comme Jérémy Ferrari : c’est un humoriste mais il se bat pour certaines valeurs. J’ai besoin de m’entourer de personnes qui parlent le même langage que moi et avec qui je suis dans le partage. Ça m’aide à affronter le monde."
"Au départ, c’était un rêve de travailler avec Golshifteh. Avec mon co-scénariste, nous avons écrit le rôle pour elle : qui de mieux que Golsfhiteh pour incarner l’histoire d’une femme prise pour cible ? Je l’ai rencontrée, elle a lu le scénario et le rêve est devenu réalité. Elle a été un soutien formidable, m’a donné son point de vue sans réserve, et ses idées."
Saïd Belktibia a construit le récit de Roqya comme un crescendo d'énergie, une longue fuite en avant : "Je déteste m’ennuyer devant un film. J’ai voulu faire un actionner / thriller où la vie ne laisse aucun répit au personnage. Cette femme est constamment dans la survie, comme nous finalement. C’est censé être éreintant sur l’écran. Pour moi, c’est un film de genre qui n’en est pas vraiment un ; je cherche à confronter le spectateur à ses propres doutes, ses propres croyances – est-ce que tout ça existe vraiment ? – et ne plus le lâcher jusqu’à la fin."
Saïd Belktibia ne voulait pas faire un film naturaliste, mais un vrai divertissement tout en gardant une certaine profondeur et un réalisme dans les sentiments. Le metteur en scène confie : "Quand on fait son premier long, on a envie de tout donner. Personnellement, j’adore le cinéma coréen, j’ai été baigné dans la filmographie de Kim Jee-woon. C’est ce cinéma-là, qui raconte des histoires de manière profonde et intense, qui m’a donné envie de faire du cinéma. Je souhaitais que les spectateurs passent un bon moment dans leur fauteuil, face à quelque chose de travaillé artistiquement et techniquement."
"Le tournage était dur, avec beaucoup de nuits blanches, dans le froid, mais je crois que ça a participé à donner sa patte au film."
Si Roqya ne s'inspire pas d'une histoire vraie en particulier, Saïd Belktibia s'est nourri de différents récits réels et dramatiques. Ainsi, le cinéaste a entendu l’histoire d’une jeune femme amoureuse, dont la relation s’était terminée et qui l’a très mal vécu. Il se rappelle : "Pendant deux ans, elle a fait des allers-retours en psychiatrie. En sortant, elle rencontre sur un réseau social une sorcière qui l’exhorte afin de retrouver son homme. Elle l’incite à se lacérer la peau et à essuyer sa plaie avec un mouchoir blanc à déposer ensuite sous l’oreiller. Un mois plus tard, elle avait 260 scarifications sur les avant-bras."
"Les histoires que je raconte sont toujours basées sur des expériences présentes ou passées. J’ai constaté que les gens désespérés se tournent souvent vers les réseaux sociaux et n’y trouvent pas les meilleurs conseils. Dans les quartiers, dans les endroits moins favorisés, c’est un phénomène qui s’accentue. Encore une fois, on ne croit plus à la médecine, en l’institution, on n’a pas les moyens. On se replie sur soi."