C'est grâce à Karl Flinker, un grand amateur d’art, libraire et galeriste, que Barbet Schroeder s'est intéressé au travail de Ricardo Cavallo. Le metteur en scène se rappelle : "Depuis mon arrivée à Paris, à l’âge de 11 ans, il était un peu mon père spirituel. Nous sommes toujours restés en contact et, un jour de 1982, il me dit qu’il fallait absolument que je rencontre un de ses nouveaux peintres, devenu son ami, qui était vraiment génial. C’est ainsi que je me suis trouvé à gravir les sept étages d’un immeuble de Neuilly, jusqu’à la petite chambre de bonne dont Ricardo Cavallo avait fait son atelier. Sa peinture et sa personnalité m’ont conquis d’emblée."
"En un instant j’ai su que, dans une vie, on rencontre peu de gens comme lui. Ricardo est un homme d’une sensibilité unique, d’une ouverture aux autres exceptionnelle, d’une générosité de tous les instants. J’ai eu par la suite la chance d’être le premier à voir surgir la partie complètement secrète de son œuvre : des milliers d’extraordinaires gouaches qui font partie de ce qu’il appelle « l’imagination active ». J’étais par ailleurs tellement attiré par ses grandes peintures à l’huile qu’elles ont fini par être présentes sur une grande partie des murs de tous mes appartements."
Lorsque Barbet Schroeder a parlé à Ricardo du film qu'il comptait faire sur lui, l'artiste lui a dit : "Si ça te fait plaisir…". "Ricardo sacrifie tout à ce qui l’intéresse, et ne fait jamais que ce qui l’intéresse. Je lui avais proposé de travailler avec moi sur le film que j’ai réalisé en Colombie (La Vierge des Tueurs, 2000), je pensais qu’il pourrait m’aider pour les couleurs, mais il a refusé, très gentiment, mais fermement. J’étais fou de lui demander ça ! Il avait travaillé sur les décors d’une pièce de Luc Bondy, un autre de ses amis proches, mais considérait avoir alors peut-être perdu six mois…", précise le cinéaste.
Dès le départ, Barbet Schroeder avait une liste d’œuvres indispensables au film. Encore fallait-il pouvoir les montrer et les filmer toutes ! Pour l’essentiel, le réalisateur voulait que les échanges que suscitait son amitié avec l'artiste lui permette de retracer l’histoire de l’art de manière originale et vivante. Il confie : "J’aime tellement ce que Ricardo dit, ce qu’il est, ce qu’il fait, que la communauté de vues était déjà établie, et donc le terrain de jeu était préparé. Le film est réellement né de l’association de nos deux esprits. Il est arrivé aussi souvent que Ricardo devine ce que j’attendais de lui, et réponde au-delà de mes espérances."
"Ainsi, lorsqu’il étend un drap, geste qui le conduit à évoquer les icônes (allusion qui a été coupée au montage), il passe ensuite naturellement aux portraits du Fayoum, une chose que Ricardo m’avait fait découvrir, il y a très longtemps et qui m’ont impressionné pour toujours, je savais qu’ils devaient être montrés dans le film, puis passer à la peinture grecque. La pensée de Ricardo permet de montrer que tout est intimement lié, que l’histoire de l’art s’apparente à un flux ininterrompu. De la peinture des premiers temps, nous arrivons au cubisme, à Braque, à Picasso, qui devaient être absolument présents dans le film."
Les spectateurs qui resteront jusqu'à la fin du générique pourront découvrir à l'écran le tableau Grotte, achevé en 2023.