La mode est aux gros titres, à ceux que réhaussent une police d’écriture taille 80, une couleur agressive sur fond noir ou blanc (au choix) et surtout des sonorités électroniques agressives. La mode est aussi aux fulgurances, non spontanées mais concertées, aux fulgurances qui se donnent telles des fulgurances qu’il faut reconnaître et nommer de la sorte. La mode est encore aux discours sur toutes les causes ayant le vent en poupe, à savoir
la réification de la femme dans une société machiste, vitrine se leurrant dans des reflets de jeunesse éternelle
. La mode est donc à The Substance, en témoigne le succès massif rencontré lors de sa présentation dans les festivals puis lors de sa sortie internationale, véritable phénomène médiatique qui promet une expérience de cinéma inoubliable, dont personne ne saurait sortir indemne.
Or, son erreur principale tient à son approche du cinéma de genre à des fins non de marginalité, retranchement à l’origine du geste esthétique d’un Frank Henenlotter – le monstre emprunte à l’imagerie des Basket Case – ou d’un David Cronenberg, deux influences explicitement citées à l’écran, mais de consensus moral : la transgression prétendument portée par le long métrage s’avère être aussi superficielle que les arrière-trains complaisamment captés par une caméra qui se fait la dupe de sa propre satire, cédant à la plasticité aguicheuse par leur répétition ad nauseam. Coralie Fargeat n’établit aucune distance critique avec ses plans, son absence d’humour et sa mise en scène clinique uniformisent tout, frappé du sceau de la belle image. Son œil se confond avec celui des membres du jury
se délectant des corps féminins généreux
; et pour reprendre d’ailleurs leur expression, dans The Substance « tout est à la bonne place », rien ne dépasse, rien n’advient véritablement. Comment dès lors espérer saisir l’angoisse existentielle d’Elisabeth Sparkle, pure fonction de scénario que sauve cependant une Demi Moore magnifique pendant les trente premières minutes ? Si l’actrice est certes éprouvée, elle ne bénéficie pas d’un espace de jeu à la hauteur de son talent : enfermée dans des plans millimétrés, écrasée sous une forme qui l’exploite de la même façon que les panneaux publicitaires fétichisent Sue, elle est
mise à nu
non comme femme sensible mais comme intention idéologique et prétendument scandaleuse.
Les références musicales à The Shining (Stanley Kubrick, 1980) ou à Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958) – par le biais de la partition musicale de Bernard Herrmann – appuient davantage l’aspect scolaire et démonstratif d’une production éblouie par sa propre virtuosité, à ce point obsédée par la signifiance de chacune de ses images qu’elle sombre dans un moralisme inepte. Ces défauts ne doivent pas divulguer les qualités techniques, en particulier le génie manifesté par le responsable des effets spéciaux prothèses et maquillage, Pierre-Olivier Persin, qui atteint un degré de perfection rarement vu jusqu’alors.
Vu en avant-première !