« La Mouche » est à David Cronenberg ce que « The Substance » est à Coralie Fargeat et ce que « Comme une actrice » est à Sébastien Bailly.
Antoine (Benjamin Biolay) metteur en scène de théâtre réputé refuse à sa femme Anna (Julie Gayet), actrice, de tenir le rôle principal dans sa pièce car le personnage est jeune. Anna est âgée de cinquante ans. A cela s’ajoute qu’elle ne suscite plus le désir de son mari qui lorgne vers une jeune journaliste (Agathe Bonitzer). Désolée, vexée, Anna parvient à obtenir d’une femme une substance obscure qui lui permettra de prendre l’apparence d’une autre femme, plus jeune si possible et surtout celle qui séduit son mari. Trois gouttes de cet élixir, pas plus. Ne jamais dépasser la dose qui pourrait lui être fatale.
Ne déréglez pas cette critique, elle est bien pour « The Substance » !
Oui, « The Substance » me renvoie à ce petit film français de facture invisible. Ce qui ne sera pas le cas pour le film de Coralie Fargeat dont l’empreinte me paraît plus marquante. Comparé au film de Sébastien Bailly, plus lent, plus intime, celui de Coralie Fargeat est soutenu par un rythme pesant et haletant avec une dimension horrifique et gore de surcroît, bellement assumée.
On retrouve la même thématique : celle de l’âge des femmes, qui la cinquantaine atteinte, sont précipitées vers la sortie.
Ici, avec « The Substance », nulle question de reconquérir un mari. Elisabeth Sparkle, (Demi Moore) ancienne star de cinéma qui a son étoile sur Hollywood Walk of Fame, reconvertie dans un show d’aérobic à succès est priée de laisser sa place à une autre plus fraîche, plus jeune, plus attractive.
Place au jeunisme !
Le hasard voulant réparer une injustice, Elisabeth Sparkle prend connaissance d’une annonce très confidentielle pour obtenir la meilleure version d’elle-même.
S’injecter une substance mais pas que ! Il faut impérativement respecter le mode d’emploi et une seule règle.
Je n’en dirai pas plus.
Alors une autre thématique se fait jour : l’addiction. Celle qui fait perdre les pédales en voulant abuser, celle qui brouille le raisonnement au point de croire maîtriser la situation.
Dans « Comme une actrice », Anna avait pour rivale une jeune journaliste ;
avec « The Substance », ce qui devait faire « une » devient deux : deux rivales.
L’une, la matrice, nerveuse, Elisabet qui s’échine à respecter le mode opératoire ; et l’autre, Sue, l’égoïste, la meilleure version, qui finit par ne plus entendre raison.
Franchement, plus d’une fois, j’ai été instable sur mon siège pour tenter de regarder ce qui me rebutait. Il est vrai que je suis sensible à tout ce qui touche à la chirurgie.
Certes, selon la salle, on peut en rire collectivement. En ce qui me concerne, la salle était relativement concentrée ; de petits rires jaunes crispés se faisaient entendre !
On peut rajouter d’autres thématiques comme le culte de la beauté, la chirurgie esthétique, l’obsession du corps, l’oubli après la gloire, la solitude, etc.
Oui, au-delà de cette superficialité, y flotte une certaine mélancolie laquelle donne plus de relief à cette fable horrifique signée Coralie Fargeat.
Le récit ne manque pas de profondeur comme l’était « La Mouche ». Et quelques notes d’humour… noir.
En effet j’ai souris à plus d’une reprise
avec la hot line
; souri devant l’extravagance outrancière de Dennis Quaid que la réalisatrice s’applique par moments à en traduire toute sa misogynie dictée par l’argent et l’audimat ; souri avec le tout dernier plan qui voit Elisabeth -
ce qu’il en reste - mourir sur son Etoile
.
A ce propos, le tout premier plan du film se porte sur la composition de l’Etoile d’Elisabeth sur Hollywood Walk of Fame ; une Etoile qui va connaître l’excitation des fans ou des cinéphiles, des curieux, puis l’indifférence. Une stèle entretenue, délaissée ; une métaphore sur l’usure du temps qui touche tout être humain, anonyme ou célèbre.
Une des bonnes idées de Coralie Fargeat.
Parmi ses idées : le casting. Demi Moore s’impose comme une évidence ; elle, dont la carrière avait si bien débuté, une promesse qu'elle n'a pas pu tenir. Avec « The Substance » elle pourrait connaître le même sort que son ex-compagnon Bruce Willis qui avait sacrément rebondi après « Sixième sens ».
Gore assumé et corps nus aussi, le sien qu’elle n’hésite pas à montrer.
Autre bonne idée : cette salle de bains blanche, froide et clinique,
lieu refuge pour la permutation des corps.
Enfin, je me pose la question suivante :
le passage sur scène de Sue monstrueuse est-ce une projection de son esprit ?
Dans ce cas, ça me séduit.
Ou est-elle vraiment montée sur scène pour assurer le show quoi qu’il lui en coûte ?
Si tel est le cas, j’avoue ne pas aimer cette fin. Devant l’horreur qu’elle suscite, Sue me donne l’impression d’inviter les spectateurs à accepter sa différence.
Elle me renvoie à « Elephant Man » : « I’m a human being ».
Ce qui est cohérent pour le film de David Lynch ne me paraît pas l’être pour celui de Coralie Fargeat.
Sans doute que je m’égare due à une mauvaise interprétation. Il me faudra le revoir.
En tout cas, si je trouve que la réalisatrice étire trop sa fin, « The Substance » est un film dénué de temps mort, un récit épuisant à suivre mais ô combien surprenant et captivant dans son traitement. Son Prix du Scénario Cannes 2024 ne me paraît pas scandaleux.
Ducourneau, Fargeat, deux femmes françaises primées à Cannes ; deux femmes françaises qui pratiquent le film de genre sans aucun complexe, cela me ravit.
J’ai commencé ma réflexion par « Comme une actrice », je terminerai par une autre référence : « Docteur Jerry et Mister Love » de Jerry Lewis. Et oui, n’ingurgite-t-il pas une substance miracle pour changer d’apparence ? Pour connaître une petite gloire auprès des filles ?
J’oubliai : mention très bien à Margaret Qualley dans le rôle « La meilleure version de vous-même »…