On sortait de plusieurs drames "qualitatifs mais pompeux" (on va le dire poliment) dans ce Festival de Cannes 2024, alors quand vous vous asseyez en bout de rangée (Team Last Minutes), et que le papy d'à côté vous demande d'échanger votre place "car c'est un film d'horreur très gore, et qu'il aura peut-être besoin de sortir", vous commencez à avoir un sourire bébête sur les lèvres, celui d'une sadique échappée de Gérardmer, un peu comme Coralie Fargeat (notre âme-soeur visiblement). The Substance est un film turbo-généreux, tant dans sa régression assumée que dans son côté sanglant, qui s'amuse énormément avec son sujet féministe (l'ouverture avec Dennis Quaid qui
mastique ses crevettes, et en met partout
, tandis qu'il égraine son discours dégueu de macho, donne le ton : l'homme "vieillit bien" comme le fromage, tandis que la femme se fane... ici jusqu'à l'excès), a une mise en scène déjantée (la scène "Pump It Up" est une hallucination visuelle portée par un Margaret Qualley qui s'éclate, mais aussi un clin d'œil aux gros plans de derrières et Robert de nanars comme Aerobic Killer), est très joyeusement passionné par les prothèses à l'ancienne (il pousse d'un revers de main le numérique écoeurant qui fait loi depuis longtemps dans le cinéma gore, et revient ici aux origines du body-horror fait mains, où on galère même à comprendre les mécanismes d'articulations, et où se planque l'actrice en-dessous, tant c'est généreux et bien fait !... On en aurait pleuré), qui laisse la part belle à Demi Moore et Margaret Qualley en furie (leurs meilleures prestations, tout confondu, on prend de l'avance pour le dire), et un hommage au cinéma d'horreur. Attention, à TOUT le cinéma d'horreur, du grand classique (Carrie au bal du Diable, The Thing, les Cronenberg, évidemment saupoudrés du mythe de Dorian Gray...) aux séries Z éclatées (Toxic Avenger, Aerobic Killer...). Coralie Fargeat a tout vu, et vomit tout joyeusement (
comme son monstre final qui vomit des seins par l'orbite... on ne s'en remettra probablement jamais)
dans son The Substance qui en devient très vite fascinant, hilarant, étrangement enthousiasmant pour tout fan du cinéma d'épouvante. Arrivé dans la dernière demi-heure très énervée en chairs et sangs, en piqûres en tous genres, notre voisin de siège (pas le papy, du coup, qui s'est finalement marré comme un bossu) nous a escaladé, sans prévenir, pour s'enfuir de la salle, et les pompiers de lui courir après. Effectivement, il y a eu des malaises durant la séance, mais pour notre part : la lumière du Grand Palais s'est rallumée, c'était le Hellfest. On était en furie. On ne se refait pas, que voulez-vous. Quand une passionnée du cinéma d'horreur s'adresse avec autant d'humour régressif, d'intelligence féministe, de mise en scène jouissive, et d'hommage à tout ce qu'elle a bouffé comme VHS éclatées, à une autre timbrée de ce genre, cela donne notre meilleur moment (de très loin) du Festival de Cannes 2024.