Quand il aborde le tournage de « La dernière fanfare », John Ford, âgé de 64 ans, est déjà depuis un moment un vétéran d’Hollywood. Ayant commencé sa carrière de réalisateur au temps du muet, il compte près de 125 films (dont 62 muets), au sein de sa foisonnante et très éclectique filmographie . Il lui reste peu d’années à vivre pour et par sa passion et il le sait parfaitement. Les douze films qu'ill lui reste à tourner contiendront malgré tout quelques chefs d’oeuvre comme « Les cavaliers » (1959), « Le sergent noir » (1960), « L’homme qui tua Liberty Valence » (1962) ou encore «La taverne de l’Irlandais » (1963). Une carrière incroyable, s’étendant sur près de cinquante ans comme on n’en fera sans doute plus après lui et quelques autres de sa génération. Très attaché aux valeurs de la famille qui traversent toute son oeuvre , Ford s’intéresse cette fois-ci à celle de la politique. Il adapte le roman tout frais d’Edwin O’Connor (1957) qui s’inspirant librement de la vie du maire démocrate de Boston, James Michael Curley, décrit par le menu la dernière campagne d’un politicien local ayant gravi tous les échelons à la force du poignet et qui va s’affronter encore une fois aux édiles bien nés qui ne l’ont jamais accepté. Spencer Tracy que John Ford avait fait débuter dans « Up the river » (1930) retrouve le réalisateur trente ans plus tard alors que tous deux sont désormais des hommes prématurément usés par des vies où l’alcool a souvent servi de béquille. Autour de lui, nombre d’acteurs comme Frank Albertson, Jane Dawell, John Carradine, Ricardo Cortez, Wallace Ford, Donald Crisp ou Edward Brophy qui ont jalonné sa filmographie. Spencer Tracy alias Frank Skeffington en campagne, c’est un peu John Ford qui anticipe son dernier tour de piste en compagnie de ses fidèles grognards. La roue tourne et c’est avec une certaine philosophie quelquefois un peu contrariée par une furieuse envie de combattre encore que Ford le constate. Le réalisateur irlandais n’a jamais été un cinéaste politique mais il n’a jamais néanmoins hésité à sortir du rang quand il estimait devoir le faire comme lorsqu’il s’éleva face à Cecil B Demille pour dénoncer « les méthodes dignes de la Gestapo » de la commission McCarthy pendant la « chasse aux sorcières ». Ici, il s’en prend aux affairistes qui penchent toujours du côté de celui qui acceptera de n’être que le simple vecteur de leurs intérêts. Tout à la fois goguenard, nostalgique, parfois retors et calculateur, Spencer Tracy est touchant d’une humanité dont il n’hésite pas à afficher les deux faces de la médaille. On notera le portrait au vitriol que Ford fait des fils de Skeffington et du banquier Norman Cass Jr. (Basil Rathbone) soit volage et scandaleusement insouciant ou alors presque débile. Sans doute très déçu par son propre fils, le réalisateur tenait-il à exprimer le peu d’espoir qu’il plaçait dans la relève? On le sait, un film du grand John Ford n’est jamais mauvais. Celui-ci jugé comme mineur s’avère en réalité un très bon cru de la part d’un réalisateur encore parfaitement opérant malgré les problèmes de santé qui le minaient.