Créée en 2014, la justice restaurative est un espace de dialogue de nature à offrir aux personnes impliquées, qui souffrent des répercussions du crime, la possibilité de se rencontrer pour en questionner le « pourquoi » et le « comment ». Après Pupille, Jeanne Herry cherchait un nouveau projet et a entamé des recherches sur deux sujets qui l’intéressaient : le fonctionnement du cerveau et le milieu de la justice.
"J’ai toujours été passionnée par les faits divers, les procès, les grandes figures du banditisme, les ténors du barreau… Un jour, je suis tombée par hasard sur un podcast autour de la justice restaurative. Ça m’a intriguée, puis captivée : ce qui m’intéressait dans ce processus était précisément ce qui motivait mes recherches sur le cerveau : la réparation", se rappelle la réalisatrice, qui signe son troisième long métrage.
Dans Pupille et Je verrai toujours vos visages, Jeanne Herry éclaire un endroit du réel peu connu qui propose des outils porteurs d’espoir. Pour autant, la cinéaste ne fait pas ces films pour parler de l’adoption ou de la justice restaurative :
"Ce ne sont pas des documentaires. Le fond me touche, mais c’est d’abord le cinéma qui m’importe. Ce sujet, je le choisis car je pressens que je vais pouvoir y planter des graines de romanesque et qu’il va m’offrir la possibilité de faire un bon film."
"Au cours de mes recherches, un des interlocuteurs que j’ai rencontré m’a dit : « L’objectif de la justice restaurative, c’est la libération des émotions par la parole ». C’est cette libération que j’ai voulu mettre en scène", précise-t-elle.
Jeanne Herry a rapidement décidé de mettre en scène des rencontres détenus-victimes autour des vols avec violence. Une problématique sociale et sociétale assez banale, mais dont on mésestime les effets ravageurs sur les victimes. La réalisatrice confie :
"Les violences intrafamiliales n’ont pas de frontières sociales, elles frappent tous types de familles, de quartiers, de classes… Ce sont des guerres sourdes qui ont lieu derrière les murs des maisons, nos maisons, chacun peut s’identifier, se projeter."
"Je me suis à nouveau longuement documentée, et j’ai voulu raconter un frère agresseur, une soeur victime et la famille qui avait généré cela. La violence, l’amour, la prise de pouvoir, les manques et les manquements… Des drames effroyables et courants."
Avec Je verrai toujours vos visages, Jeanne Herry retrouve plusieurs comédiens qu'elle a déjà fait tourner dans Pupille. C'est le cas de Gilles Lellouche, Élodie Bouchez et bien sûr sa mère Miou-Miou.
Jeanne Herry n'a pas assisté à des rencontres entre victimes et agresseurs (cela aurait été contraire au principe de base de cette pratique qui invite les agresseurs à se raconter en toute liberté). La cinéaste explique : "Ils savent que le cadre dans lequel ils vont s’exprimer est sécurisé et que rien de ce qu’ils diront ne sera répété. Il arrive d’ailleurs que certains dévoilent des faits qu’ils n’ont jamais révélés."
"Les seules choses auxquelles j’ai assisté et qui étaient hyper intéressantes sont les formations. J’en ai suivi trois : la formation d’animateurs que font Fanny et Michel dans le film - j’ai vraiment éprouvé de l’intérieur la première scène du film en jouant tour à tour des auteurs et des victimes face à des apprentis animateurs - ; celle de médiateur, la fonction qu’occupe Judith ; et une troisième formation par Zoom au Québec."
Jeanne Herry a écrit le film en ayant en tête certains acteurs comme sa mère Miou-Miou (Sabine), Elodie Bouchez (Judith), Gilles Lellouche (Grégoire), Leïla Bekhti (Nawell) et Jean-Pierre Darroussin (Michel). La réalisatrice se rappelle :
"Je n’étais pas sûre que le rôle intéresserait Gilles – après tout, son personnage n’arrive qu’à la cinquantième page-, je ne connaissais pas Leïla Bekhti. Pour moi, c’étaient des boussoles, c’était agréable d’avancer avec eux en tête."
"J’ai très vite pensé à Birane Ba pour le rôle d’Issa. Je l’avais trouvé très inspirant en travaillant avec lui sur un spectacle à la Comédie française. Alors qu’il y a peu de personnages jeunes dans mes films, Il m’a donné envie d’en imaginer un."
"Il est formidable, Birane, solaire, très fiable, il cherche beaucoup. Sont venus ensuite Suliane Brahim avec qui j’avais travaillé aussi, Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah et Fred Testot."
Jeanne Herry avait pour référence 12 hommes en colère de Sidney Lumet. Mais aussi En thérapie, la série d’Olivier Nakache et Éric Tolédano. La cinéaste raconte : "Elle m’a beaucoup plu et aussi rassuré : à ce stade, même si je ne le souhaitais pas, je me posais encore la question de mettre ou non en scène les agressions dont les victimes avaient fait l’objet."
"Devait-on voir Sabine (Miou-Miou) se faire voler son sac ? Son récit suffirait-il ? « En thérapie » m’a confortée dans ce que voulais faire. Les visages de la série étaient comme des paysages : on se faisait nous-mêmes nos propres images. On peut faire confiance aux mots et au jeu. Je me suis concentrée sur le plaisir et la perspective de voir mes acteurs jouer."
Jeanne Herry fait généralement peu de répétitions. Par contre, la réalisatrice effectue des lectures en tête-à-tête avec chaque acteur. Elle se souvient : "On lit toutes les séquences ensemble et c’est le moment où nous voyons s’il y a des problèmes de texte, une phrase qu’ils ont du mal à dire, un mot avec lequel ils se sentent mal à l’aise."
"Je suis très attentive à cela parce que je sais, qu’après, on ne reviendra pas en arrière, que c’est vraiment LE texte qu’ils devront apprendre. Je ne transige ni sur la précision, ni sur la ponctuation. Je leur demande de ne pas rajouter de béquilles. Les ben, les alors, je les ai déjà écrits et je n’en veux pas plus, sinon cela deviendrait de la bouillie."