L’histoire du film est née du besoin, pour Estibaliz Urresola Solaguren, d’interroger les limites d’un système où le sexe équivaut strictement au genre, niant l’existence du genre comme d’un spectre. La réalisatrice précise : "C’est une sanction sociale, qui est à l’origine de beaucoup de souffrances, encore aujourd’hui. Cette vision pesante est représentée dans le film par la figure du père et son travail, et par sa vision stéréotypée de la féminité et de la masculinité. On le voit aussi dans la passation de l’atelier, un héritage dont Ane, pourtant le personnage le plus progressiste du film, ne veut pas se débarrasser."
Estibaliz Urresola Solaguren a pris contact avec une association qui l'a mis en rapport avec une vingtaine de familles dont les enfants avaient entre 3 et 9 ans. Tous ont donné au cinéaste accès à leur intimité avec générosité : "Je retiens notamment ce que m’ont dit certaines familles sur le parcours de leur enfant, qu’elles voyaient comme une expérience positive qui leur avait permis de se redéfinir en tant que familles. Elles ne l’avaient pas vécu comme un problème, mais comme un processus qui venait mettre en lumière et questionner leur cadre familial. Pour les parents, cela interrogeait leur relation avec leurs fils et filles et leurs rôles en tant que pères et mères, ainsi que leurs ressentis au sujet de leur propre identité."
"Ce que j’ai trouvé touchant, c’est que ces familles ne parlaient jamais de « transition » pour définir le processus que leurs fils et filles transgenres traversaient. Au contraire, c’était la perception des familles et de leur entourage qui était en phase de transition. Les enfants restaient qui ils étaient ; c’étaient aux autres de devoir changer et évoluer. C’est ce point de vue qu’on retrouve dans mon film."
Dans une ruche, chaque abeille remplit un rôle distinct et nécessaire au fonctionnement du groupe. Toutefois, une ruche dépasse la somme de ses individus : c’est un organisme vivant en soi qui me semblait faire écho au thème du film, en raison de la tension entre l’individu et la communauté. Estibaliz Urresola Solaguren précise : "Dans une ruche, les abeilles sont interdépendantes, mais en même temps, chacune y joue un rôle spécifique."
"À mon sens, cette image permettait d’évoquer les relations familiales telles qu’elles sont représentées dans le film. Par ailleurs, les abeilles et les ruches jouent un rôle important, à la fois social et spirituel, dans la culture traditionnelle basque que je souhaitais montrer à l’écran. L’abeille y est considérée comme un animal sacré. En langue basque, on utilise les mots « zu » (toi) ou « usted » (vous) pour parler des abeilles avec respect."
Pour trouver l'interprète de Cocó, Estibaliz Urresola Solaguren a vu 500 fillettes. Elle a rencontré Sofía Oter au début des auditions et l'a tout de suite imaginée dans le rôle de l’une des filles pauvres du film. La réalisatrice explique : "Elle était très bonne en improvisation, mais elle ne correspondait pas à l’idée que je me faisais de Cocó au début."
"À la fin du casting, je me suis rendu compte que je ne lui avais jamais vraiment proposé de jouer Cocó et j’ai décidé de l’auditionner une dernière fois. Son essai m’a ôté tout doute : ce serait elle, et pas une autre."
Estibaliz Urresola Solaguren voulait montrer la réalité de la façon la plus naturelle possible, pour que le public n’ait pas l’impression de se trouver devant un spectacle artificiel, mais devant une vie normale, ou presque : "Cette décision a conditionné d’autres choix esthétiques : par exemple, l’absence de musique extradiégétique. La musique est jouée par les personnages eux-mêmes, ce qui me permet au passage de les caractériser. J’ai beaucoup joué avec la lumière naturelle. J’ai cherché à filmer les endroits que traverse Cocó en lumière naturelle, autant que possible."
"Pour les cadrages, je voulais être au plus près des personnages, en alternant les gros plans avec des plans plus larges, pour montrer l’impact de leur environnement sur eux et pour inviter le public à se mettre dans la peau de chaque personnage. Pour obtenir cette esthétique naturaliste, je me suis surtout appuyée sur les répétitions. Pendant plusieurs mois, les acteurs ont répété des scènes qui ne faisaient pas partie du scénario pour développer les relations entre les personnages : entre les frères et sœurs, entre la mère et la fille, entre la mère et la grand-mère…"
"Les enfants n’étant pas des acteurs professionnels, j’ai cherché chez eux une certaine spontanéité, même s’ils devaient tout de même suivre le scénario. L’un des plus gros défis du tournage était sans doute de mettre les acteurs, professionnels et non professionnels, au diapason."
20 000 espèces d’abeilles a été sélectionné en compétition à la Berlinale 2023, où Sofía Otero a remporté l'Ours d'argent de la meilleure actrice. Il s'agit de la plus jeune comédienne à avoir reçu ce prestigieux prix.