Parallèlement au débat en France sur le "Mariage pour tous", en 2013, la Loi sur "L'Identité de genre" a été votée en Argentine. "Cela venait nourrir l’idée que la vieille Europe prenait un peu la poussière et qu’il fallait aller ailleurs pour trouver un peu d’énergie révolutionnaire", confie la réalisatrice Isabelle Solas, qui ajoute :
"Le sujet du film c’est comment s’articulent l’intime et le politique. J’avais envie d’aller disséquer comment le désir peut être politique, ce ressort individuel et collectif qui fait qu’on peut penser le monde autre- ment. Ces corps qui se déplacent dans ce territoire trouble et violent qu’est l’Argentine aujourd’hui sont en eux-mêmes un acte de résistance. J’ai voulu filmer leur volonté inaliénable de prendre leur place, de ré- inventer le présent, et d’avoir confiance en l’avenir."
Isabelle Solas a réalisé une enquête sociologique et a rapidement rencontré Claudia dans le quartier de la Plata. "Elle été déjà identifiée dans les mouvements Kirchneristes de gauche. Après être rentrée en France a éclaté une forte mobilisation pour dénoncer une recrudescence de meurtres de femmes trans. J’ai ressenti une ur - gence à y retourner."
"Elles sont en sursis. Si le cinéma documentaire peut aider à témoigner, il faut le faire ! Violetta, c’est après avoir lu une très belle tribune d’elle que j’ai demandé à la rencontrer. Ce que j’ai vu chez elles, c’est une étrange façon de lier les contraires : être encore plus vivante, dans un présent perpétuel, tout en frôlant la mort à chaque instant", se rappelle la cinéaste.
Isabelle Solas a travaillé en petite équipe comme à son habitude et a pu compter sur Anna Feillou comme assistante (elle connaît très bien l’Argentine) : "On parlait des séquences à l’avance avec les personnages, et après je les laissais agencer les choses comme elles en avaient envie, dans une sorte de mise en scène collective. Il était évident que je n’apparaitrais pas à l’écran. J’aime bien quand on laisse les gens vivre, sans ajouter de commentaire, que cela ressemble à un film de fiction."
Le titre du film vient de l’affiche de l’artiste Barbara Kruger « Your body is battleground » (1989) réalisée en soutien à la lutte pour l’avortement. "Cela m’a semblé intéressant de détourner ce terme, il y a aussi dans la question trans une question de corporalité qui est criante", précise Isabelle Solas.
Pour Isabelle Solas, la question trans met à plat le capitalisme, le patriarcat et la binarité. Elle précise : "Ces militantes amènent une complexité qui m’a beaucoup nourrie, au niveau théorique mais aussi de leur instinct de vie, leur façon d’exiger du réel des choses très ambitieuses."
"Tout au long du film, elles proposent d'autres chemins que celui de la norme : d’autres corporalités, d’autres façons de vivre une histoire d’amour, d’autres manières de penser une action collective. On se demande pourquoi des gens qui s’auto-déterminent génèrent tant de violences pour d’autres ?"
"Pourquoi sont-elles rejetées par certaines féministes ? Qu’est-ce que cela vient toucher de si fondateur de la société ? J’ai l’impression qu’elles ont une lutte totale, c’est libérateur pour les hommes aussi d’ailleurs."