Le 22 avril 2012, Ihsane Jarfi est la victime d'un assassinat à caractère homophobe commis à Liège, en Belgique. Son corps nu est retrouvé dans un champ le 1er mai 2012 près de Tinlot. Le 4 mai, les quatre auteurs sont inculpés pour meurtre, avec circonstance aggravante d’homophobie. En novembre et décembre 2014 se tient le procès aux assises des quatre prévenus, inculpés non seulement pour assassinat homophobe, mais devant aussi répondre d’autres chefs d’accusation, dont torture et traitements inhumains et dégradants ainsi que de faits d’humiliation ou d’avilissement graves et de séquestration. Verdict : trois d’entre eux sont condamnés à la réclusion à perpétuité́ pour assassinat homophobe. Le dernier à 30 ans pour meurtre homophobe. La circonstance aggravante d’homophobie est retenue pour tous les auteurs.
Nabil Ben Yadir s'est intéressé à l'histoire tragique d'Ihsane Jarfi dès 2012, après la découverte d'un article de journal évoquant l'affaire : "Je me suis senti en connexion directe dès ce moment-là avec ce drame. En lisant l’article qui évoque un crime homophobe, je me pose plein de questions sur l’identité. De façon purement intellectuelle et partant du principe que nous sommes tous pluriels, je me pose la question du racisme, de l’homophobie, de la façon dont on choisit de dénommer ce crime." Lors du procès en 2014, il rencontre Hassan Jarfi, le père d’Ihsane, et a de plus en plus la certitude de vouloir porter cette histoire à l'écran.
Le réalisateur revient sur la responsabilité qu'il ressentait à raconter cette histoire au cinéma : "Quand vous avez la famille en face de vous et que vous évoquez la volonté de faire en film, il faut être en mesure de la faire. Il faut que cela soit concret. Il s’agit d’engager des années de sa vie dans un projet comme celui-là. Pour moi, c’était important. Je sortais du film La Marche et je savais que j’allais plonger dans le noir, le sombre mais ça a pris du temps." Malgré les difficultés et le fait qu'on lui ai conseillé à plusieurs reprises de faire un documentaire, il s'en est tenu à son idée initiale : "je suis un réalisateur de fiction et pour moi c’est le cinéma qui devait raconter cette histoire."
Le père de la victime, Hassan Jarfi, revient sur sa rencontre avec Nabil Ben Yadir : "Je connaissais Nabil de nom car toute la famille avait vu son film Les Barons qui était important pour nous. Il est venu se présenter et m’a dit qu’il souhaitait faire un film sur Ihsane. Je lui ai demandé « Qu’est-ce que vous allez montrer ? ». Il m’a répondu : « La violence ». Je lui ai donné carte blanche. C’était comme un grand frère voulant défendre son petit frère." À ses yeux, montrer la violence était essentiel, car si elle s'est exercée ici sous couvert d'homophobie, elle se manifeste ailleurs à travers le racisme ou la xénophobie.
Il n'a cependant pas vu le film, se sentant incapable d'être témoin de ce que son fils a subi : "Je n’ai pas besoin de regarder le film mais je suis heureux qu’il existe et que le message passe sur la violence, l’homophobie, le racisme et les discriminations. On m’en parle beaucoup, je reçois de nombreux messages. Et je souhaite que le film puisse sortir très bientôt au Maroc, où il faut lutter pour dépénaliser l’homosexualité. Chaque fois qu’une opportunité de témoigner ou de faire avancer les choses se présente, je la saisis."
La scène de 9 minutes qui relate le meurtre (qui a duré en réalité 6h) est très réaliste mais le réalisateur souligne qu'il s'agit néanmoins de cinéma. Il ne prétend pas être dans une réalité documentaire. Il a été tenté de couper certaines scènes car elles étaient trop violentes, notamment après les retours de certains grands festivals de cinéma. Le père de la victime l'a soutenu dans son choix de conserver la violence à l'écran. Nabil Ben Yadir réaffirme ses intentions : "En Belgique, de nombreux scolaires ont vu le film et les retours ont été bouleversants. Les mots ne peuvent pas remplacer les images surtout dans cette société qui ne vit que dans l’image, dans la représentation de soi-même. La seule façon de communiquer, notamment avec la jeune génération, c’est l’image. Certains n’ont peut-être jamais lu de livre mais personne n’a jamais vu de film, cela n’existe pas."
Le réalisateur a choisi de montrer cette scène à travers les téléphones portables des assassins. Il a laissé les comédiens filmer sans leur donner d'indication précise. En adoptant le point de vue des meurtriers, il espère impliquer davantage le spectateur, en particulier les jeunes et ceux qui ne sont pas militants ou sensibilisés à la lutte contre l’homophobie. "Cette scène est à la fois non-cinématographique puisque filmée avec des téléphones mais c’est en même temps extrêmement cinématographique parce que c’est le cinéma d’aujourd’hui, la façon dont les jeunes se mettent en scène." Il ajoute : "Le modus operandi de donner les clés de ces scènes aux personnages était la seule façon d’approcher le réalisme et d’être au plus proche possible des événements."