« Depuis 20 ans, grâce au cinéma, nous tentons d’embrasser les questionnements qui agitent notre société contemporaine et nos petites vies personnelles. Cette fois elles étaient toutes en pause, sidérées par le covid. Nous aurions pu parler de cette sidération, mais nous avons pensé que beaucoup d’autres cinéastes s’en chargeraient. Et puis, dans un grand éclat de rire salvateur, est venue cette image incongrue de deux hommes politiques collés l’un à l’autre contre leur gré », raconte Benoît Delépine.
Le film devait à l’origine s’intituler Union nationale mais les réalisateurs trouvaient ce titre un peu trop martial. En même temps s’est imposé tout seul. Gustave Kervern développe : « Un politicien est tout simplement la quintessence d’un être humain dans la période actuelle. Il est comme ces artistes de cirque qui doivent jongler avec des assiettes. Il court d’assiette en assiette pour éviter qu’elles tombent. C’est exactement ce que nous faisons tous pour éviter la catastrophe. Ceci étant dit, le principe du "en même temps" pour un homme politique, devant le chaos qui s’annonce, c’est la certitude absolue d’aller droit dans le mur. » Pour son comparse, ce titre est à la fois actuel (« on peut y voir une attaque du Macronisme ») et intemporel (« dans 20 ans on s’en foutra du Macronisme »), qui exprime la difficulté à satisfaire tout le monde et à procéder à de vrais choix politiques.
Il paraissait important pour les réalisateurs de faire le point sur le pouvoir politique en France, l’année où se déroulent les élections présidentielles. Benoît Delépine révèle : « En ce qui me concerne, mon père ayant été maire d’un bourg en Picardie pendant près de 40 ans, et suivant de près la vie de mon village en Charente, je trouvais intéressant de faire un portrait humain de ceux qui nous gouvernent. Avec leurs bonnes et mauvaises volontés. Leurs limites. Leurs angoisses aussi. »
Le film met ainsi en scène Molitor et Béquet, deux types de politiciens différents. Le premier est un écologiste qui croit vraiment en ce qu’il dit mais que personne n’écoute. Le second est « un prototype de mec d’extrême droite, mais qui surfe sur ces idées pour aller dans le sens des électeurs, de plus en plus sensibles à garder leur petit pré carré. C’est un opportuniste qui profite de son statut et que les gens prennent plus au sérieux parce qu’il paraît plus affirmé et plus autoritaire », affirme Gustave Kervern.
Les réalisateurs ne cherchent pas à donner de leçon : « nous-mêmes, nous sommes dans le doute permanent. C’est aussi pour cela qu’on a voulu rendre ces hommes politiques plutôt sympathiques. » En revanche, il y a deux choses sur lesquelles Gustave Kervern n’a aucun doute, « c’est sur la nécessité absolue de prendre en compte l’urgence écologique et sur la nécessité absolue de tabler sur le féminisme. Pour ces deux impératifs, il n’est même pas inutile d’être didactique. Dans nos cerveaux saturés de tout et n’importe quoi, il faut que les messages soient martelés sans cesse pour qu’ils aient une chance d’atteindre l’hippocampe. » Benoît Delépine renchérit : « nous en sommes simplement arrivés à la conclusion que seul une forme de sobriété pouvait nous sortir de l’impasse. Et que ce ne sont pas les hommes, par nature non pas (seulement) violeurs, mais disons agressifs et dominateurs, qui pourront nous amener à l’envie de sobriété, mais plutôt des femmes. Inspirées. Courageuses. Drôles. Amicales. »
Les deux réalisateurs sont conscients qu’on pourrait leur reprocher, en tant qu’hommes, de mettre en scène un tel sujet. « Mais, en tant qu’hommes, nous sommes aussi bien placés pour voir le problème. Et le féminisme, ce sont surtout aux hommes d’en prendre conscience et à ces mêmes hommes d’en convaincre d’autres », explique Gustave Kervern. Les féministes du film appartiennent à un groupe d’action anarcho-libertaire, inspirées par des groupes de rock 100 % féminin. « Après de si nombreuses années à en prendre plein la gueule, c’est évident que les femmes en lutte n’ont pas eu toujours envie de rire. Il n’empêche. Nous œuvrons dans le domaine de la comédie. Et faire passer quelques messages, parfois, par le biais du rire, c’est une façon efficace de parvenir à ses fins. »
À l’instar de bon nombre des films de Kervern et Delépine, En même temps est un road movie. Un genre vers lequel les deux réalisateurs se tournent inconsciemment, comme le révèle Delépine : « Toujours nous essayons de ne pas prendre la route, mais chaque fois nous y revenons, cette fois en voiture électrique ! Sans doute pour nous-même voir du pays, aller au-devant de gens et découvrir des lieux que nous ne rencontrerions pas autrement ». Kervern ajoute : « Peut-être que c’est effectivement un éloge de la fuite. Il faudrait savoir pourquoi nous n’avons fait pratiquement que des road-movies. Il doit y avoir un fond psychanalytique qu’il vaut mieux sans doute ne pas trop creuser ! »
C’est en 2021, après la cérémonie des César, que les réalisateurs (nommés pour le scénario d’Effacer l’historique) ont choisi Vincent Macaigne (nommé pour Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait) et Jonathan Cohen (nommé pour Énorme). Tous les quatre étaient repartis bredouille de la cérémonie et attendaient un taxi pour rentrer chez eux. « Sur le trottoir de l’Olympia avec tous les autres perdants des César ! Ça crée des liens ! » plaisante Benoît Delépine.
Trouver la meilleure manière de filmer ces deux corps collés a été un challenge artistique pour les réalisateurs. « Sans faire de storyboard, nous savions que chaque choix de cadre devait être et serait original. Les trouver lors du tournage fut l’essentiel de notre travail de réalisateurs », développe Benoît Delépine. « Nous nous sommes posés beaucoup de questions. Comment ne pas rendre cette histoire ridicule ou glauque ? Nous avons eu des sueurs froides très longtemps. Jusqu’aux essais caméra où nous nous sommes dit : ça peut marcher ! », précise Gustave Kervern.