Anatomie d'une chute a obtenu la Palme d'Or au Festival de Cannes 2023. Justine Triet est une habituée de la Croisette puisqu'elle y a présenté La Bataille de Solférino, Victoria et Sibyl.
Après sa Palme d'or, Anatomie d'une chute a brillé aux César où il a reçu 6 prix, dont celui du meilleur film, de la meilleure réalisation, du meilleur scénario et de la meilleure actrice pour Sandra Hüller. Le succès du film a dépassé les frontières hexagonales : parmi de multiples récompenses, Anatomie d'une chute a obtenu le BAFTA du meilleur scénario original, le Golden Globe du meilleur scénario original et celui du meilleur film étranger. En outre, le film a été nommé dans 5 catégories aux Oscars, et a obtenu la statuette du meilleur scénario original.
Avec Anatomie d'une chute, Justine Triet souhaitait faire un film centré sur la défaite d’un couple. L’idée était, pour la réalisatrice, de raconter la chute d’un corps de façon technique et d’en faire l’image de la chute du couple et d’une histoire d’amour : "Ce couple a un fils qui découvre l’histoire de ses parents dans un procès - procès qui dissèque méthodiquement leur relation - et ce garçon passe du stade de l’enfance, incarné par la confiance absolue envers sa mère, à celui du doute."
"Et le film va regarder ce passage. Dans mes précédents films, les enfants étaient présents, mais n’avaient pas la parole, ils étaient là ; mais on n’avait pas leur point de vue. C’est comme si le moment était venu d’intégrer le regard de l’enfant au récit, de le mettre en balance avec celui de Sandra, le personnage central. Le film est peu à peu devenu comme un long interrogatoire : de la maison au tribunal, ce n’est qu’une succession de scènes où les personnages sont questionnés."
"J’ai voulu revenir à plus de réalisme, dans le sens quasiment documentaire, que ce soit à l’écriture ou formellement. Mais c’était pour aller plus loin dans la complexité, dans ce que raconte le film autant que dans les émotions qu’il peut produire. Tout a été vers un plus grand dépouillement : il n’y a aucune musique additionnelle, le film est plus brut, plus nu que mes précédents", confie Justine Triet.
Justine Triet a écrit Anatomie d'une chute pour Sandra Hüller. La cinéaste voulait retravailler avec la comédienne après Sibyl : "J’ai écrit pour elle, elle le savait, c’est une des choses qui m’ont stimulée dès le départ. Cette femme libre qui est finalement jugée aussi pour la façon qu’elle a de vivre sa sexualité, son travail, sa maternité : je pensais qu’elle apporterait une complexité, une impureté au personnage, qu’elle éloignerait totalement la notion de « message ». Et puis, on s’est véritablement rencontré sur le tournage."
Justine Triet a co-écrit le film avec Arthur Harari. Le scénario n’est pas adapté d’un fait réel mais la réalisatrice a voulu que l'ensemble soit le plus authentique possible. Les scénaristes ont ainsi fait appel à un avocat pénaliste, Vincent Courcelle-Labrousse, qu'ils sollicitaient sur les aspects techniques du film, mais aussi sur la conception française de l’audience :
"Ce qui nous a surpris, c’est le côté un peu bordélique d’un procès en France, contrairement aux Etats-Unis où la parole est distribuée de façon plus rigide. Cet aspect m’a permis de faire un film très français, et de prendre le contre-pied du film de procès américain, beaucoup plus spectaculaire. L’idée d’assister à des blocs ininterrompus d’audience s’est imposée."
"J’ai passé mon temps à demander à mon monteur, Laurent Sénéchal, de ralentir le rythme, de garder les plans imparfaits, flous, un peu tremblants. Je ne voulais pas d’un film confortable, trop propre", se rappelle Justine Triet.
L'interprète de Daniel, l'enfant, a été compliqué à trouver. Justine Triet et sa "collaboratrice au jeu d’acteur" Cynthia Arra ont d’abord effectué un casting d’enfants malvoyants pendant quatre mois. Puis, comme elles ne trouvaient pas, elles ont ouvert le casting aux enfants voyants trois mois supplémentaires, avant de tomber sur Milo : "C’est Jill Gagé (en renfort casting) qui l’a trouvé. Il a tout suite été impressionnant, comme s’il ne jouait pas."
"Il a appris le piano de manière intensive, et puis, avec Cynthia, on a cherché ensemble le niveau de malvoyance avec l’aide de personnes spécialisées dans la déficience visuelle. Nous avons opté pour une malvoyance qui soit la plus légère possible à incarner, une forte myopie sans atteinte de la vision périphérique. C’est un enfant qui a des capacités intellectuelles et émotionnelles exceptionnelles, avec une espèce de vibration mélancolique."
Le film n’a aucun flash-back, à une exception près : la scène de dispute. Justine Triet justifie ce choix : "L’absence de flash-back était une volonté dès le départ. Je n’aime pas ça dans les films, et surtout je voulais que la parole soit au centre, qu’elle assume tout, qu’elle envahisse tout. C’est comme ça que fonctionne un procès : la vérité échappe, il y a un énorme vide et on n’a que la parole pour le combler. Les seules exceptions qu’on s’est autorisées, elles passent par un travail de son."
Antoine Reinartz incarne l'avocat général. Justine Triet l'a choisi pour la modernité qu’il donnait au personnage : "Il amène de l’altérité dans le film, il fait rentrer le monde contemporain et ça casse la solennité poussiéreuse du procès… Il joue en quelque sorte le méchant, mais un méchant très séduisant, retors, flamboyant. Il parle à la place du mort et doit rendre ce dernier, qu’on ne voit pratiquement jamais, attachant, nous faire saisir, comme aux jurés, que cet homme mérite d’être défendu. Antoine apporte une dimension d’arène au tribunal, la violence civilisée du parquet.
Dans la peau de l'avocat de l'accusée, Swann Arlaud joue un personnage assez fragile et sur la défensive : "Je ne voulais pas de combat de coq entre eux. Vincent n’est pas un virtuose du barreau, il est bon mais pas idéalisé. Swann amène une subtilité de jeu, une appréhension, du fait qu’il connait sa cliente, il se sent du coup plus en danger. Je trouvais intéressant qu’il soit en quelque sorte un double de Samuel, que les deux se ressemblent un peu. On comprend que Sandra et lui se sont connus il y a des années, et qu’il y a entre eux quelque chose de pas totalement éteint", note la cinéaste.
Lorsqu'elle a reçu la tant convoitée Palme d'Or au Festival de Cannes 2023, Justine Triet a prononcé un discours particulièrement critique sur le gouvernement Macron : en ce qui concerne sa politique culturelle qu'il met à mal via un néo-libéralisme poussé à l'extrême, mais aussi en clamant son admiration pour la contestation de la réforme des retraites ("réprimé de façon choquante" selon ses propres dires). La ministre de la culture Rima Abdul Malak a dit dans la foulée être "estomaquée", tout en dénonçant un discours "ingrat et injuste", flirtant avec l'extrême gauche.