Joël Akafou ne voulait pas filmer le trajet de Bourgeois depuis la Côte d’Ivoire jusqu’à l’Europe. D’autres films documentaires, ayant la mer Méditerranée comme décor principal, ont rendu compte de ce qui s’y passe. Le metteur en scène explique :
"Les étapes de son séjour en Italie occupent une grande partie du film : les démarches administratives, la vie au campo, les relations avec les autres migrants, l’installation chez Michelle, puis la volonté de maintenir le cap vers la France. Ce cheminement permet de comprendre les enjeux du personnage principal, sa façon de penser, d’être ému, d’agir. Je n’escamote aucun de ses côtés sombres et le spectateur est de plain-pied avec Bourgeois quand il tentera de passer en France. J’ai filmé la première tentative de traversée en hiver, elle s’est soldée par un échec."
Né le 20 novembre 1986 à Bouaké, Côte d’Ivoire, Joël Akafou est diplômé du Master 2 professionnel en Réalisation cinéma à l’ISIS (Institut Supérieur de l’Image et du Son), à Ouagadougou. Il a ensuite étudié à l’Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle (INSAAC) d’Abidjan, où il a été responsable de la CEAA (Coordination des Étudiants Artistes Africains) de 2008 à 2011. Il est actuellement enseignant de cinéma à l’ESCA Ecole Spécialisée du Cinéma et de l’Audiovisuel à Abidjan où il vit et développe ses activités en tant qu’auteur-réalisateur, et producteur au sein de la société Les Films du Continent.
Bourgeois est une personne très sociable, suscitant chez l’autre une certaine curiosité par son côté « faux calme » selon Joël Akafou. En tant que personnage principal, il est celui par lequel toutes les relations sont construites. Le cinéaste confie :
"Avec ses compagnons de route, et notamment avec son premier allié, Kader Keita, il y a beaucoup d’enjeux : si Kader est son meilleur ami sur place, il ne veut pas passer sans documents en France et s’oppose à Bourgeois qui veut que les choses avancent vite."
"Il y a de toute façon, chez tous les migrants, une nervosité qui s’installe et qu’ils doivent prendre en compte pour ne pas sombrer dans la trop grande angoisse. L’attente interminable fait partie de leur quotidien et j’aimerais la faire ressentir au spectateur."
Le film est axé sur la réussite – ou non – de la traversée clandestine des Alpes, de l’Italie vers la France. Joël Akafou voulait transmettre la tension et une reconnaissance physique et morale des enjeux d'une telle traversée. Il précise :
"Mais à chaque étape, il y a un enjeu dramatique supplémentaire, qui repose sur des séparations et des plongées vers un nouvel inconnu. Par exemple, comment fera-t-il accepter à Michelle le fait qu’il ne veut pas l’épouser ? Est-ce qu’Aminata lui enverra l’argent pour payer à nouveau les passeurs vers la France ? Aussi, vu depuis la question de la dette, c’est à chaque fois la rupture d’un engagement passé avec un(e) autre et la promesse d’un nouvel engagement qui lui permet d’avancer."
A plusieurs reprises, le spectateur assiste aux réunions que les migrants organisent entre eux à l’occasion d’un repas collectif et que Kader appelle les « procès de l’Afrique ». Ces longues discussions sont présentes à plusieurs reprises au fil du film, sans le souci de respecter une chronologie. Joël Akafou explique :
"Ces moments sont hors du temps. Pendant une soirée, les migrants oublient leur présent et rêvent ensemble d’un meilleur pays. Débat ordonné, puis défoulement de la parole ou encore moment de recueillement, c’est une forme de thérapie collective qu’ils mettent en pratique, un rappel des maux qui rongent leur continent, une prise de conscience qui leur permet aussi de se départir des chocs qu’ils ont subis dans leurs pays ou pendant leur traversée. C’est l’horizon d’un continent libre de toute colonisation que ces jeunes adultes dessinent alors, ranimant la flamme du désir d’un avenir meilleur."