La deuxième partie du corpus de l’œuvre de Fritz Lang provient de tournages en Amérique. Il y réalisa trois westerns : le Retour de Frank James, faisant suite directe au Jesse James d'Henry King, les Pionniers de la Western Union, centré sur l'avancée du progrès grâce aux fils télégraphiques aux USA, sensé promouvoir la vision américaine triomphante en pleine Seconde Guerre Mondiale, et enfin Rancho Notorious ou l'Ange des Maudits selon le titre français. Si ces deux premiers films sont de très bonne facture, offrant chacun un divertissement intelligent, le troisième est de loin le meilleur. Le thème de vengeance lié à la justice perle forcément à un moment ou un autre dans tout film de Lang. Ainsi les deux premiers en était pourvus (même les Pionniers de la Western Union où il ne devient explicite qu'à la fin très conventionnelle dans l’échoppe du barbier), cependant cela n'atteignait pas les degré de perfectionnement des meilleurs films de Lang (malgré toute la partie au tribunal dans le Retour de Frank James qui reste malgré tout prévisible et très porté vers la distraction). Dans Rancho Notorious il intègre cela à l'intrigue principale. Un homme se lance dans une quête de vengeance après une séquence d'ouverture extrêmement rapide et efficace avec une économie d'effets et de temps. En fait le film est très court (1h29), mais sa densité dépasse de beaucoup des westerns de 2h00, tel un Nevada Smith pourtant plus qu'honorable mais loin d'atteindre une articulation thématique aussi fouillée. Les personnages sont nombreux, et leur présentation est toujours amené avec une vigueur caractéristique de Lang : en quelques plans on saisit l'essence d'un protagoniste, un seul tableau suffit quant à lui à énumérer une poignée de personnages secondaires. Il n'hésite pas à user de flashbacks tout au long de la première heure pour arriver à ses fins. Le héros traversera des épreuves lors d'un apprentissage préalable à la confrontation qu'il recherche. Parmi celle-ci on distingue quelques citation, notamment à Fury son premier film américain qu'il prend totalement à revers (les politiciens emprisonnés risquent d'être tués par la population, sauf que les enfermés sont des crapules peu scrupuleuses...une sombre alternative à Fury où la question de justice est plus que jamais complexe, mais le metteur en scène ne s'y attarde pas, nous laissant trancher quant à leur sort). Les bons acteurs, la musique joyeuse et enthousiaste, ainsi que la photographie lumineuse éclairant excessivement les décors semblent mettre un point d'honneur à créer un univers coloré et très animé, propice aux interactions sociales qui nous intéressent ici. En effet toute la qualité de Rancho Notorious réside dans ses oppositions de situations passées avec le présent, traduites par des dialogues crispés où Marlene Dietrich domine en vedette en créant la nuance parfaite entre sa façon de s'exprimer type « femme fatale » et la créature lasse de son expérience, fragilisé par les remords antérieurs mais gardant toujours sa prestance irrésitible à portée de main pour se tirer d'affaire. Son destin sera scellé dès qu'elle acceptera d'être rattrapée par son passé, en s'ouvrant de même à la rédemption. Quant au héros, et bien c'est du héros Langien tout craché, qui finira par avoir le choix entre la vengeance et la justice, et qui sera poussé vers l'une de ces directions par les circonstances. Bref un dénouement toujours aussi puissant fera office de conclusion à un western personnel à son auteur. L'Ange des Maudits en tant que western relève donc d'une œuvre méritoire, ne sacrifiant pas la réflexion à l'action, ne respectant aucun code classique pour mieux employer l'univers des saloons et revolvers aux questionnements véhiculés par Lang.