Gloire à toi, grand Akira ! Gloire à toi d'avoir donné ses lettres de noblesse au film de samurai, et plus largement d'avoir su aussi parfaitement conjuguer cinéma d'action avec film d'auteur ! Merci d'avoir, par cette oeuvre hors norme, montré la voie à de futurs grands noms du 7è art (Leone, Coppola, Lucas, Scorsese...). Merci surtout de continuer, 60 ans après, de nous plonger avec délices dans le bruit et la fureur de cette épopée inoubliable ! Ton sens de l'espace, tes travellings insensés, ton génie de la profondeur de champ, la fluidité avec laquelle tu fais danser tes acteurs (les scènes de foule!) et tes caméras (car, n'en déplaise aux producteurs bornés qui n'en voulaient qu'une, il en fallait bien plusieurs pour répondre à tes inspirations), ont nourri et nourriront encore des générations de cinéphiles. Oh bien sûr, tu n'es pas seul - et malgré ton surnom de "Tennô" (l'Empereur) et tes coups de sang légendaires sur le plateau, tu ne manqueras pas de souligner les mérites de tous ceux qui t'ont accompagné dans cette réussite. Gloire à eux, aussi ! Gloire aux magiciens de la lumière et de la photo, alchimistes d'un noir et blanc ensorcelant, dans le mystère des scènes nocturnes comme dans l'innocence des scènes champêtres ou le gris boueux de la bataille finale: Nakai Asakazu et Saitô Takao. Gloire à tes responsables des décors (Matsuyama Takashi) et des costumes (Ezaki Kôhei), qui, au prix de conditions de tournage très inconfortables (le refus du confort des studios a un prix) ressuscitent avec un réalisme incroyable un univers fascinant. Gloire à ton maître de la musique, Hayasaka Fumio, dont ce fut malheureusement l'une des dernières compositions et qui signe une partition à la croisée des traditions japonaises et occidentales. Gloire, évidemment, à tes co-scénaristes, Hashimoto Shinobu et Oguni Hideo, qui ont imaginé avec toi le plus équilibré, le plus fouillé, le plus complexe des récits, sensibles autant à la dimension sociale du Japon pré-Edo qu'aux détails les plus subtils de la psychologie samurai et de leur science guerrière - capables, surtout, d'imaginer cette fantastique galerie de personnages, aux personnalités franches, bien découpées, du plus humble paysan au charismatique vétéran des batailles. Et gloire enfin, bien sûr, à tes interprètes, qu'on aurait envie de tous nommer tant leur prestation étonne et ravit à chaque instant. Les paysans (Rikichi, Manzo, Yohei, Shino...), seconds rôles qui n'en sont jamais complètement et seront les vrais vainqueurs de cette lutte entre guerriers professionnels. Shimura Takashi, maître samurai par excellence, rayonnant d'intelligence et de pondération, capable d'humour comme d'inflexibilité; Miyaguchi Seiji, alias Kyûzô, idéal du samurai perfectionniste mais modeste, au faciès impassible traversé d'imperceptibles sourires, aux gestes hallucinants de précision et d'élégance; Kimura Isao, jeune premier un peu benêt mais à la belle prestance; Katô Daisuke (Shichiroji, le n°2), Inaba Yoshio (Gorobei) et Chiyaki Minoru (Heihachi), aux profils admirablement caractérisés, aux trognes mémorables et à la qualité d'interprétation jamais prise en défaut. Et enfin, bien sûr, ton acteur fétiche, le grand Mifune Toshirô, qui incarne avec un génie histrionique qui n'est qu'à lui un personnage venu de nulle part, aux confins du bouffon et du guerrier, du leader charismatique et du simple d'esprit. Ce Kikuchiyo-là, il fallait être un génie pour l'inventer, et il fallait un génie pour l'incarner. Que les deux aient pu être réunis, qui plus est pour une longue collaboration, est une bénédiction dont le 7è art gardera à jamais le souvenir. Messieurs, à vous tous, bravo et merci !