Récit d’une puissance et d’une violence inouïe
Eva, enfant d’une famille dysfonctionnelle, trouve refuge auprès de deux amis garçons, ce sont « Les trois mousquetaires » mais aussi auprès de la mère de l’un d’entre eux. C’est son bol d’oxygène, mais la préadolescence va ébranler ce fragile équilibre et déstructurer définitivement la jeune fille.
La réalisatrice, Veerle Baetens, les cinéphiles la connaissent déjà… Epatante, bouleversante actrice du cinéma belge ; elle nous avait scotché dans « Alabama Monroe » « Les Ardennes » de Van Goreningen et Dhont. Elle adapte ici le best-seller éponyme pour son premier derrière la caméra ; et à l’image de ceux qui l’ont dirigé, elle conserve l’âpreté et la violence frontale du propos qui fait la marque de fabrique du cinéma flamand. Les détracteurs diront que c’est un cinéma à la main lourde lorsqu’il traite des faits de société ; les amateurs, dont je suis, apprécieront un cinéma brut, sans compromis, sur la ligne de crête. Un cinéma qui prend des risques mais qui parvient à tenir en équilibre comme ici.
Là, dans la construction de son récit, elle va alterner le présent avec des flashbacks de l’enfance d’Eva.
La jeunesse de la jeune fille offre un portrait mélancolique et amer reflet de la solitude et de l’insécurité affective dont elle est la victime collatérale de parents défaillants. Dans le présent, ce que l’on pourrait prendre pour de la maladresse scénaristique avec des scènes et une direction d’acteur au trait un peu forcé et surligné ne vise en fait qu’à comprendre et à capter la déconnexion d’Eva au sentiment et son incapacité à créer du lien social et affectif. Elle ne peut plus faire confiance, elle est dépressive ; et ne trouve pas dans le monde qui l’entoure une sécurité. Ce film pointe du doigt tous les signes avant-coureurs d’une tragédie comme il en existe beaucoup.
Vaeerle Baetens tient alors de main de maitre son récit pour déployer avec une ingéniosité remarquable un crescendo narratif dont on sent très vite l’issue dramatique inéluctable. Sa mise en scène au plus des acteurs, de leurs silences, de leurs attitudes en est aussi un élément ; et tout cela à hauteur d’enfant comme dans le terrible drame de Lukas Dhont « Close ». Sa jeune actrice Rosa Marchant remportera le prix d’interprétation à Sundance pour la puissance de son jeu. Ce drame déchirant sur l’enfance est un incontournable et montre bien toutes les fragilités de cet âge : la cruauté enfantine, l’éveil à la sexualité, les amitiés toxiques, le corps qui change… et le pire dans tout cela est la défaillance des adultes, volontaires ou non. Un plaidoyer contre le silence dont on sort groggy.
Myriam Perfetti : « Déroulant patiemment sa trame narrative, Veerle Baetens remonte aux origines du drame, à ce moment où Eva devient (à jamais) prisonnière d’un passé traumatique. Les gros plans cadrent les acteurs, enserrés par les non-dits, les lâchetés des adultes, l’emprise perverse des amitiés, au plus près, scrutant leurs émotions et abritant une violence latente qui ne demande qu’à exploser. »
Un film fort mais attention, on en sort ébranlé.
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