Ici, nulles parties de chasse à la cour portées par les musiques de Haendel ni échanges épistolaires sulfureux, en arrière coulisse. L’aristocratie n’est plus ce qu’elle était, si manifestement opulente qu’elle pouvait inspirer des films aux décors et costumes grandiloquents. Elle est aujourd’hui un monde en repli, à l’abri dans sa tour d’ivoire, qui garde peut-être son titre et son éducation… mais a perdu ses terres. La famille d’Hanako en fait partie, qui demeure inflexible dans le maintien de son rang, attachée à un code de valeurs et à des habitus d’un autre temps, mais toujours palpables.
Dans une logique de reproduction de caste, d’idéal de pureté, Hanako doit ainsi trouver un mari de son cru. Après quelques rencontres infructueuses, vient enfin le jour où elle finit par intéresser un bel homme, doux, prévenant… et aristocrate ! Voilà le mariage arrangé avec le bel avocat. Un vrai conte de fées… Jusqu’à ce qu’Hanako tombe sur des échanges entre son mari et une autre femme. Celle-ci vient d’un horizon diamétralement opposé. Elles vont se rencontrer.
Alors qu’on pourrait s’attendre à un règlement de comptes entre dulcinées, c’est le contraire qui advient dans Aristocrats. Leur confrontation amènera en elles de nouvelles vérités, puissantes, un désir brûlant de vie, de n’appartenir qu’à soi et à personne d’autre, de renverser les codes, les cloisons, le monde étriqué que leur impose la société nipponne. La réalisatrice filme avec beaucoup de délicatesse ce choc des bulles sociales, vers une connaissance salvatrice de soi, pour échapper à une destinée standard. La rivalité est remplacée par la sororité, même si l’une des héroïnes est de Tokyo et l’autre de la lointaine province, l’une est riche, l’autre sans le sou.
C’est moderne et furieusement élégant. On ne saurait que vous recommander de partager leur quotidien, empreint d’une sensibilité proche de Ryusuke Hamaguchi (Senses, Asako I&II), l’autre explorateur des sentiments au Japon, à qui l’on pense souvent devant cette œuvre si profondément délicate, qui révèle une jeune réalisatrice d’à peine 36 ans.