Le moment où Laure Portier a intégré l’INSAS (Institut Supérieur des Arts) coïncide avec l’entrée de son frère Arnaud dans un centre éducatif fermé. Dans le rapport de grande sœur à petit frère, la réalisatrice ressentait le besoin et le devoir de partager avec lui l’éducation qu'elle recevait. Elle se rappelle :
"Et peut-être aussi que vu notre rapport, il était nécessaire de mettre quelque chose d’autre entre lui et moi. Une caméra, un projet. Mais je n’en avais pas cette conscience-là lorsque j’ai commencé à le filmer en 2005. En 2012, j’apprends qu’il est à la prison des Baumettes et là, nous sommes dans l’urgence que quelque chose se passe. Et pour que le film existe un jour sur le grand écran, je veux écrire un film et qu’il soit produit. C’était ma motivation dès l’écriture du projet."
Avant que le film entre en production, Laure Portier a payé les voyages, l'énorme amende dont il devait s’acquitter et une caméra à son frère : pas tant pour nourrir le film mais pour qu’il passe à autre chose. "Je n’étais pas sûre du tout qu’il aimerait ça. Ça n’a jamais été convenu entre nous. Il a dû filmer différentes choses mais les premières images que j’ai reçues de lui datent de 2016 lorsqu’il s’est retrouvé à la rue. C’est une fois que j’ai mesuré ce qu’il me fournissait comme matière, que j’ai su que le film allait se composer avec ses images", se rappelle la cinéaste.
Le film a été présenté à l'ACID au Festival de Cannes 2021.
Lorsque Laure Portier est partie au Pérou rejoindre son frère en 2019, ce dernier refusait d’être filmé. La réalisatrice n’avait donc pas de quoi finir le film tel qu'elle l'avait en tête. Mais le tournage était fini et lorsqu'elle a commencé à monter en septembre 2020, elle n'avait pas encore les dernières images tournées par Arnaud :
"Tout ce que je savais, c’est que je finirai le film sur son dessin, sans savoir exactement comment. C’est un dessin que je lui ai demandé de faire en 2013. Je lui avais demandé de dessiner la dernière image du film. Pour qu’il me raconte ce vers quoi il voulait aller", se rappelle-t-elle, en poursuivant :
"Quelle direction, il voulait que sa vie prenne Ce dessin est plein de vie et de lumière. Il me fallait donc soit attendre, soit tordre le film pour qu’il s’y plonge. Et il y a eu un peu des deux... Arnaud a continué à m’envoyer de la matière filmée jusqu’en janvier 2021 et c’est ce qui a permis de créer cette fin."
Dès le prémices du projet, Laure Portier savait que les dessins allaient être un fil conducteur de Soy Libre. Elle explique pour quelle raison : "Lorsque nous étions enfants, j’étais la mignonne petite fille et Arnaud, c’était la tornade. On attendait toujours la prochaine connerie qu’il allait faire. Le regard des adultes l’enfermait dans cette attente. Et il finissait par faire une connerie, comme pour leur donner raison."
"Mais à côté de ça, c’était un petit gars qui, dès qu’il dessinait, inventait des endroits extraordinaires. Il gagnait même des concours de dessins. Je pense que je voulais le tirer de cette injustice faite à ce corps d’enfant, à ma manière, alors que lui voulait se tirer de là à sa manière. Ses dessins, c’est sa sensibilité au monde, sa plus profonde personnalité. Ils avaient donc toute leur place dans le film."
Laure Portier est née en 1983 dans les Deux-Sèvres. Après une licence de Lettres Modernes à Toulouse et une année à l’ESAV, elle intègre l’INSAS à Bruxelles en section Image. Diplômée, elle devient assistante caméra et accompagne des longs métrages de fiction. En 2019, elle présente son premier court-métrage, Dans l'oeil du chien, lauréat du Prix court-métrage au festival Cinéma du réel. Soy Libre est son premier long-métrage.