J'ai lu les critiques des spectateurs. C'est un film apparemment qu'on aime ou qu'on déteste, comme l'étaient les grands chefs d'œuvres d'Antonioni ou de Bergman. Comme eux il nous installe à la fois dans la beauté, et l'inconfor, en nous ramenant à l'essentiel. Pour ma part je n'ai pas vu les trois heures passer. Admirateur de la littérature de Murakami j'ai retrouvé dans ce scénario la qualité et cette capacité à surprendre le lecteur par des rencontres improbables, et une narration mettant les héros sur le grill existentiel. .
Plusieurs écheveaux d'histoires s'entrecroisent habilement autour du fil rouge: " Oncle Vania" de Tchekhov doit être donné à Hiroshima, par un metteur en scène prestigieux, invité en résidence d'artiste pour l'occasion; Reste pour lui de choisir les acteurs et des les entrainer. Il y a donc des histoires dans l'histoire. La première étant celle du metteur en scène lui même, qui a perdu sa femme, sa muse en fait, deux ans plus tôt et qui ne parvient pas à faire le deuil, se culpabilisant de sa conduite d'alors, dont il pense qu'elle peut avoir été déterminante dans la disparition de sa femme.
Un autre plan séquence cyclique, étant celle de ce travelling où l'on voit la voiture rouge de nuit, avant de nous inviter dans l'habitacle. Elle à l'avant, lui à l'arrière. Notre metteur en scène s'étant vu imposé un chauffeur, une jeune femme en l'occurrence, avec laquelle une relation profonde va peu à peu s'installer. Rien à voir avec une attirance sexuelle lambda, mais quelque chose de bien plus singulier. L'homme dit au chauffeur chaque soir, ou chaque matin, au moment d'aller répéter dans la salle, ou de repartir, d'appuyer sur le bouton "play" du cassette. Alors les dialogues d ' "oncle Vania" commencent, et raisonnent dans l'habitacle de la voiture, afin qu'il se remette bien le texte en tête.
C'est un enregistrement qui a été fait par sa femme. Est ce "Oncle Vania", qu'il écoute, ou sa muse, dont il pleure sa disparition, sans pathos exprimé?. Ce n'est qu'avec le temps qu'il i dira son chauffeur, toujours très professionnelle, le nom de cette voix, que la jeune fille trouve très belle.
La voiture, joue donc un rôle majeur, comme le titre du film l'indique. C'est un vieux modèle SAAB, de couleur rouge, incandescente dans Hiroshima nocturne, éclairée de ses lumières, glissant sur son rail autoroutier. Une voiture fétiche auquel le metteur en scène tient beaucoup, depuis quinze ans qu'il l'a possède et en prend grand soin. Il a confié les clés à la jeune femme à contre cœur au début, avant de lui dire qu'elle conduit admirablement, sans à coups.
Pour cet homme dirigeant des acteurs, veillant à la fluidité de leur texte, ce n'est pas gratuit. Les deux protagonistes déchirés chacun par la culpabilité, vont après s'être confié l'un à l'autre, se retrouver à la fin du film tous deux sur le siège avant.
Il y a là, parmi tant d'autres, une belle métaphore sur le rapprochement, la confiance qui se mérite, la relation qui se construit dans le temps, et le processus de guérison, qui passe par le langage. Les scènes d'acteurs jouant Tchekhov sont très fortes,, très engagés émotionnellement, physiquement.
Où est la vie, le cinéma, le théâtre? Le grand écrivain Russe semble avoir phagocyté tout le monde, et la scène finale, le jour de la première, avec cette actrice muette , rendant la réplique à l'oncle Vania, par le langage des signes et du corps, est une de ces scènes qu'on oublie pas, comme celle des "lumières de la ville" , où Chaplin, avait choisi de garder le muet, pour exprimer, par l'art du mime et des émotions dansant sur un visage, la quintessence de ce que le cinéma pouvait exprimer de plus fort.
Murakami ne pouvait trouver mieux que Tchekhov, que j'ai eu envie de relire, comme sûrement tant d'autres, après avoir vu ce chef d'œuvre, qui est une ode aussi à la littérature, et à tous les arts qui guérissent, tant il tire des rallonges, et des ponts entre les genres et les êtres.
C'est un chef d'œuvre absolu !