Hamaguchi est adepte des longs métrages ; « Senses » 317 mn, Asako 119 mn, et « Drive My Car » 3h.
Il fait partie de la nouvelle génération des cinéastes japonais.
Son cinéma est dépouillé, sans qu’il ne demande d’effort au spectateur, si ce n’est celui de lui laisser le temps de sa genèse. Il faut accepter de se laisser porter dans le tumulte des sentiments que portent les personnages à l’écran, sans construction mentale alambiquée.
Par petites touche délicates, tel un peintre sur une toile, le cinéaste décrit la solitude, la frustration, l’amour, le deuil, à travers différents portraits de la société moderne japonaise.
Dans "Senses", Hamaguchi s’intéressait aux femmes en quête de bonheur, dans leur sphère privée ou professionnelle. 4 amies, qui régulièrement se retrouvaient, autant de portraits de femmes quadragénaires.
Dans "Asako", c’est la chose compliquée de l’amour, qui se trouvait au cœur des films I et II.
"Drive My Car", s’intéresse aux questionnements d’un homme proche de la cinquantaine, sur l’amour de sa femme, ses fragilités, sa solitude et le sens de sa vie.
Le film se déroule dans deux espaces temps.
Il commence par une scène d’amour. Sur un lit, Yusuke Kafuku, metteur en scène, écoute sa femme Oto, actrice, lui raconter une histoire érotique. Ils viennent de s’accoupler, et semblent prolonger leur plaisir à travers ses mots à elle. Il l’écoute et la questionne, pour faire avancer son récit.
Deux ans plus tard, on retrouve Yusuke, seul à Hiroshima, où il doit proposer une pièce de théâtre « Oncle Vania » de Tchékhov dans le cadre d’un festival.
Yusuke se déplace au volant de son auto, une SAAB rouge au toit ouvrant, dont il se voit contraint à regret, de confier la conduite à un chauffeur.
Cette voiture, dernier espace intime, lui permet de travailler son texte tout en roulant.
Il se trouve assis à l’intérieur, tel un cocon protecteur de ses ultimes retranchements, quand son épouse Oto, s’approche de la fenêtre pour lui parler.
Il va devoir partager son espace avec une jeune inconnue, Misaki, aux allures garçonnes, qui peine autant à communiquer, qu’elle s’applique à fluidifier sa conduite pour s'effacer à lui.
Commence alors, un road movie ou le processus créatif du metteur en scène va à la rencontre des fêlures intimes liées à sa masculinité et à sa vie personnelle.
Dans la pièce de théâtre, la distribution internationale des différents acteurs, apporte autant de sonorités et de reliefs à leur travail d’interprétation. Ils jouent chacun dans leur propre langue, sans se comprendre ; japonais, taïwanais, indonésiens, coréenne. Au télescopage des idiomes, vient s’ajouter la langue des signes, la grâce de la gestuelle s’invite au cœur des tonalités des sons pour dire.
Ils sont amenés à jouer ensemble, répondant aux émotions qu’ils véhiculent les uns les autres, au gré du sens des mots, véritable mise en abyme du texte et du travail des interprètes au cœur du film.
Les mots de Tchékhov font dans le même temps, échos aux questionnements existentiels de Yusuke sur sa propre vie, et la perspective qu’elle puisse être gâchée. Ses relations avec son épouse, s’invitent constamment au cœur de l’intrigue. Sans malice psychologique, tout est lisible et clair, il doit juste apprendre à continuer à vivre, abandonné à sa solitude, avec ce qui n’a pas été dits à temps, quand son épouse voulait lui parler.
Le cinéaste Ryusuke Hamaguchi, a remporté à Cannes le prix du meilleur scénario.
Il brille tout autant à travers les images de sa caméra.
A de nombreuses reprises de très beaux plans en contre-plongée nous montrent Yusuke qui regarde Misaki, comme une invitation à s’élever – lui dans sa résidence en hauteur et sa frêle silhouette à elle qui vient se découper dans l’enclave d’un mur, telle une porte sur la mer. Misaki est toute petite avec une casquette qui écrase encore sa silhouette, aussi l’effet s’en trouve à plusieurs reprises accentué.
De magnifiques travellings, nous font changer d’espaces lieux : la voiture qui entre dans un tunnel, le ferry qui les transportent sur l’île d’Hokkaido, avec un bout de route dans la nuit qui se découpe sur l’océan, la Saab rouge qui roule sur une route de forêt enneigée, etc.
Sans jamais être esthétisante, l’image est somptueuse.
La pureté des gros plans sur les jolis visages d’Oto, de son jeune amant ou de la jeune actrice muette, sont saisissants de grâce.
On comprend la déception de certains que le film n’ait pu être récompensé de la palme d’or, tant ce metteur en scène est formidable. Tout dans le film, se trouve extrêmement maitrisé, d’une grande netteté, avec une grande sensibilité.