« Drive my car » de Ryusuke Hamaguchi (2021) repose sur 4 personnages principaux : Yûsuke Kafuku (Hidetoshi Nishijima), la quarantaine, acteur et metteur en scène de théâtre reconnu, souffrant d’un glaucome (symbole d’un œil qui ne voit pas tout ?) ; Oto (Reika Kirishima) son épouse, scénariste pour la télévision de séries pimentées de sexualité ; Kōji Takatsuki (Masaki Okada) jeune acteur fougueux ayant été impliqué dans une histoire de mœurs avec une mineure et enfin Misaki Watari (Toko Miura) jeune femme de 23 ans, chauffeur professionnel, très secrète voire mystérieuse, sans père et ayant perdu il y a 5 ans sa mère lors d’un glissement de terrain qui a emporté sous ses yeux sa petite maison natale.
Le film se déroule sur 2 périodes. A Tokyo, Kafuku et son épouse forme un couple heureux malgré un drame récent mais avec comme particularité lors de leurs relations sexuelles, l’invention par Oto d’histoires dont elle tire ses scénarii. Un avion ayant été annulé, Kafuku rentre à l’improviste et tombe sur son épouse en plein ébats avec le jeune acteur Takatsuki. Il ferme la porte et la vie continue. Peu de temps après, Oto dit à son mari « A ton retour, on peut parler ? ») mais quand il rentrera il trouvera son épouse morte, foudroyée par une hémorragie méningée. Lors de la cérémonie funéraire, Kafuku sera étonné de voir Takatsuki.
Deux ans plus tard, Kafuku, toujours replié sur lui-même, est invité par le centre d’art dramatique d’Hiroshima à monter une pièce de Tchekhov – l’oncle Vania – avec des acteurs japonais, coréens et même une actrice muette utilisant la langue des signes coréenne. A sa demande, Kafuku réside dans un endroit calme, une petite ile de la mer de Kobe, située à 1 h d’Hiroshima mais la direction lui impose d’avoir un chauffeur : ce sera la jeune Misaki. Lors des auditions, Kafuku aura la surprise de revoir Takatsuki … mais il lui confiera le rôle principal de la pièce. Au fil de tous ces déplacements en voiture, Kafuku fera le point sur sa vie et petit à petit il confiera à Misaki certaines de ses souffrances. Au dernier moment, Takatsuki ne pouvant pas jouer la pièce, la direction demande alors au metteur en scène si on annule la représentation où s’il reprend le rôle de l’oncle de Vania. Kafuku se donnera quelques jours de réflexion et demandera à Misaki qu’elle le conduise voir son village natal.
Un film sans aucune violence, lent voir trop long diront certains (près de 3 h) mais c’est le temps nécessaire pour que Kafuku fasse un travail de deuil et – ainsi que Misaki - il cicatrise définitivement ses blessures enfouies. C’est également pour Kafuku une période de réflexion sur l’interpénétration chez les acteurs entre la vie personnelle et la vie professionnelle.
Le tout est magistralement interprété et filmé (les regards, les silences …) et le scénario fluide est d’une intelligence remarquable d’où ce prix à Cannes. Un film certes pour cinéphile où il faut se laisser conduire … pour en saisir toute la profondeur humaine.