Avec Face à la mer, son premier long métrage après les courts Beirut (2007) et Vagues '98 (2015), Ely Dagher a voulu décrire l’état mental dans lequel sont les Libanais, à l’épreuve de l’histoire depuis plusieurs décennies. Le metteur en scène explique :
"Je voulais vraiment que le film rende compte du pays, de ses habitants, des textures de Beyrouth. Je ne cherchais pas à créer une empathie avec mon personnage sur un supposé drame. C’est davantage un jeu de signes où tout concourt à la plongée dans un certain état."
Ely Dagher a découvert Manal Issa en 2016 dans son premier rôle au cinéma : Peur de rien. Le cinéaste, qui avait déjà achevé un premier traitement de ce qu’allait devenir Face à la mer à ce moment, se rappelle : "J’ai rencontré Manal deux mois plus tard, à Beyrouth, et j’ai eu la conviction qu’une rencontre était possible entre mon scénario et sa personnalité.
"Elle ne correspondait pas exactement à la Jana que j’avais écrite, mais en revanche je voyais tout de suite vers quelles zones incroyables elle pouvait emmener mon personnage. J’ai eu envie de ça, de ce déplacement. Plus on a appris à se connaître et plus je voyais les nouvelles directions qu’elle pouvait faire prendre au récit."
Adam est joué par Roger Azar. Ely Dagher l'a rencontré en avril 2019, dans un workshop : "Il ressemblait à l’idée que je me faisais d’Adam, même si à l’époque, son look était très différent, un peu Che Guevara. Ses attitudes dans la vie m’intéressaient. C’est de là que je suis parti pour l’amener vers le personnage d’Adam. L’histoire d’amour entre Jana et Adam arrive tard dans le film, et c’est évidemment volontaire. Je ne voulais pas que toute la valeur du film repose sur cette relation", précise le réalisateur.
Ely Dagher et le directeur de la photographie Shadi Chaaban ont opté pour une image hivernale pluvieuse, avec des dominantes bleu pétrole. Il confie : "On a tourné en janvier 2020, mais je voulais que la saison paraisse indéterminée. De même que le film joue avec les absences de mémoire, et ne désigne jamais avec précision les événements historiques : il est question d’une crise, d’une guerre, de combats de rue dans Hamra, sans préciser quelle guerre exactement, sans donner l’année, sans désigner un moment précis."
"Les traumas ne sont pas directement nommés. C’est un ensemble d’événements désormais qui nous rend sans défense et infuse notre quotidien."
Face à la mer a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2021. Depuis, la situation au Liban s’est fortement détériorée : l'enquête sur l’explosion du port est bloquée et la situation économique pousse de plus en plus de personnes dans la pauvreté. Ely Dagher note :
"Les craintes que j’ai exprimées dans le film sont de plus en plus présentes et la question de savoir s’il faut rester ou partir dans tous les esprits et fait partie de presque toutes les conversations."
"A l’approche des élections, il est difficile de savoir quelle différence les nouveaux partis d’opposition indépendants, issus de la révolution du 17 octobre, peuvent faire. Beaucoup de gens considèrent qu’il s’agit de leur dernier espoir et que si cela échoue, ils n’auront d’autre choix que de partir à tout prix."
"Cependant, le changement sera probablement progressif et se fera sur plusieurs cycles électoraux en raison de l’immense emprise de la classe politique criminelle actuelle sur l’ensemble du pays."
"Depuis la première à Cannes, nous avons eu de nombreuses projections dans des festivals en Europe et il y avait souvent de jeunes libanais qui avaient récemment quitté le Liban. Les projections et les débats étaient très émouvants et déchirants, car ils se trouvaient dans la même situation que Jana."
"J’ai moi aussi quitté le Liban pendant quelques années et j’ai pris la décision d’y retourner, mais aujourd’hui, comme Jana, j’ai l’impression que nous sommes tous dans la voiture en route vers l’inconnu."