Il n'est pas surprenant de voir Andrea Arnold se saisir de ce genre de portrait, en marge des idées reçues. Mais les meuglements ne mentent pas et ce seront, à peu de choses près, les seuls dialogues qui interpellent dans ce dédale agro-alimentaire, où les vaches seront à la fois les vedettes et les victimes de leur succès. Après l'étincelant "American Honey", la réalisatrice ne recule donc plus afin de témoigner d'une cruauté passive, celle dictée par l'exploitation, celle qui, dans l'ombre de notre confort, vient nous alpaguer de l'autre côté de la clôture.
En laissant sa caméra collée au quotidien des vaches laitières, quelque chose d'imposant s'empare du cadre. Ce n'est pas seulement l'animal, mais ce sont également ses tourments, ses douleurs ou encore ses angoisses. Nulle question d'intervenir, nous serons juste présents, afin d'accompagner ces créatures enchaînées, avec une impuissance qui gagne du terrain au fur et à mesure que la vie avance. Mais l'entrée en scène de Luma et de sa progéniture souligne la violence, qui n'épargnera pas ces dernières. Un accouchement, pourtant maîtrisé, soumet ces outils de travail à l'imperméabilité du quotidien des fermiers. Ils ne seront pas au cœur de l'étude, mais ils font cependant partie d'une équation qui ne nous laissera pas indifférents.
Le savoir-faire de l'élevage repose sur une répétition incessante des tâches. En captant tout à hauteur de la vache, Arnold nous plonge dans la fosse et la crasse d'ouvriers, condamnés à servir un but et à présent une machine au service de la consommation. Le montage pourra toutefois en laisser plus d'un sur le côté, tout comme ce récit, qui a sans doute des échos dans les esprits, s'il nous a été donné l'occasion d'assister à tel ou tel fragment de vie d'une vache d'élevage. Ce que fait la réalisatrice, c'est de coupler toutes ces idées et d'en faire un objet ultime de protestation. Un élan pour le spectateur et plus encore au nom de celles qui souffrent et qui n'ont pas le temps, ni la chance de profiter du confort familial, ou d'une liberté de mouvement dans des plaines ouvertes.
Oui, "Cow" tient un message fort et raconte tout cela à travers une expérience sensorielle calibrée, pourvu que l'on accepte d'être malmené par la brutalité du cadre et de son mouvement aléatoire, comme si l'instinct de survie n'aurait pas d'intérêt. Allouons toutefois la répétition des tâches comme un renouvellement d'enjeu, car malgré les séances quotidiennes de traites du bétail, il est possible d'entrevoir une déchirure dans leurs yeux et une faiblesse dans leurs hurlements. Pourtant, l'unique issue blesse, décourage, mais ne perd pas en vitalité, finalement partager avec une audience, elle-même piégée entre le siège et l'écran.